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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/515

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SUITE DES ANECDOTES.

aboli, l’hérésie détruite : les inscriptions le témoignent assez. Elles célèbrent aussi la jonction des mers, la paix de Nimègue ; elles parlent de bienfaits plus que d’exploits guerriers. D’ailleurs c’est un ancien usage des sculpteurs de mettre des esclaves aux pieds des statues des rois. Il vaudrait mieux y représenter des citoyens libres et heureux ; mais enfin on voit des esclaves aux pieds du clément Henri IV et de Louis XIII, à Paris ; on en voit à Livourne sous la statue de Ferdinand de Médicis, qui n’enchaîna assurément aucune nation ; on en voit à Berlin sous la statue d’un électeur[1] qui repoussa les Suédois, mais qui ne fit point de conquêtes.

Les voisins de la France, et les Français eux-mêmes, ont rendu très-injustement Louis XIV responsable de cet usage. L’inscription « Viro immortali, à l’homme immortel » a été traitée d’idolâtrie, comme si ce mot signifiait autre chose que l’immortalité de sa gloire. L’inscription de Viviani, à sa maison de Florence, « Ædes a deo datæ[2], Maison donnée par un dieu », serait bien plus idolâtre : elle n’est pourtant qu’une allusion au surnom de Dieudonné, et au vers de Virgile, deus nobis hæc otia fecit. (Égl. i, v. 6.)

À l’égard de la statue de la place de Vendôme, c’est la ville qui l'a érigée. Les inscriptions latines qui remplissent les quatre faces de la base sont des flatteries plus grossières que celles de la place des Victoires. On y lit que Louis XIV ne prit jamais les armes que malgré lui. Il démentit bien solennellement cette adulation au lit de la mort, par des paroles dont on se souviendra plus longtemps que de ces inscriptions ignorées de lui, et qui ne sont que l’ouvrage de la bassesse de quelques gens de lettres.

Le roi avait destiné les bâtiments de cette place pour sa bibliothèque publique. La place était plus vaste ; elle avait d’abord trois faces, qui étaient celles d’un palais immense, dont les murs étaient déjà élevés, lorsque le malheur des temps, en 1701, força la ville de bâtir des maisons de particuliers sur les ruines de ce palais commencé. Ainsi le Louvre n’a point été fini ; ainsi la fontaine et l’obélisque que Colbert voulait faire élever vis-à-vis le portail de Perrault n’ont paru que dans les dessins ; ainsi le beau portail de Saint-Gervais est demeuré offusqué ; et la plupart des monuments de Paris laissent des regrets.

  1. Frédéric-Guillaume, dit le Grand, électeur de Brandebourg, en 1640, né en 1620, mort le 29 avril 1688, père du premier roi de Prusse ; on parle de lui tome xiii, pages 213 et 585.
  2. Voyez page 444.