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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/533

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MARINE.

et il ne regarda pas le royaume du même œil dont un seigneur regarde sa terre, de laquelle il tire tout ce qu’il peut, pour ne vivre que dans les plaisirs. Tout roi qui aime la gloire aime le bien public ; il n’avait plus ni Colbert ni Louvois, lorsque, vers l’an 1698, il ordonna, pour l’instruction du duc de Bourgogne, que chaque intendant fit une description détaillée de sa province. Par là on pouvait avoir une notice exacte du royaume, et un dénombrement juste des peuples. L’ouvrage fut utile, quoique tous les intendants n’eussent pas la capacité et l’attention de M. de Lamoignon de Bâville. Si on avait rempli les vues du roi sur chaque province, comme elles le furent par ce magistrat dans le dénombrement du Languedoc, ce recueil de mémoires eût été un des plus beaux monuments du siècle. Il y en a quelques-uns de bien faits ; mais on manqua le plan en n’assujettissant pas tous les intendants au même ordre. Il eût été à désirer que chacun eût donné par colonnes un état du nombre des habitants de chaque élection, des nobles, des citoyens, des laboureurs, des artisans, des manœuvres, des bestiaux de toute espèce, des bonnes, des médiocres, et des mauvaises terres, de tout le clergé régulier et séculier, de leurs revenus, de ceux des villes, de ceux des communautés.

Tous ces objets sont confondus dans la plupart des mémoires qu’on a donnés : les matières y sont peu approfondies et peu exactes ; il faut y chercher, souvent avec peine, les connaissances dont on a besoin, et qu’un ministre doit trouver sous sa main et embrasser d’un coup d’œil, pour découvrir aisément les forces, les besoins et les ressources. Le projet était excellent, et une exécution uniforme serait de la plus grande utilité[1].

Voilà en général ce que Louis XIV fit et essaya pour rendre sa nation plus florissante. Il me semble qu’on ne peut guère voir tous ces travaux et tous ces efforts sans quelque reconnaissance, et sans être animé de l’amour du bien public qui les inspira. Qu’on se représente ce qu’était le royaume du temps de la Fronde, et ce qu’il est de nos jours. Louis XIV fit plus de bien à sa nation que vingt de ses prédécesseurs ensemble ; et il s’en faut beaucoup qu’il fit ce qu’il aurait pu. La guerre, qui finit par la paix de Rysvick, commença la ruine de ce grand commerce que son

  1. Les mémoires des intendants (quarante-deux volumes in-folio) sont aux Manuscrits de la Bibliothèque nationale. L’État de la France, par Boulainvilliers, n’est que l’analyse de ces quarante-deux volumes. Selon ces mémoires, la population de la France était, en 1700, de 19 millions d’âmes.