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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/537

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Voisin ne furent que des orages passagers, sous un ciel d’ailleurs serein ; et il serait aussi déraisonnable de condamner une nation sur les crimes éclatants de quelques particuliers que de la canoniser sur la réforme de la Trappe.

Tous les différents états de la vie étaient auparavant reconnaissables par des défauts qui les caractérisaient. Les militaires et les jeunes gens qui se destinaient à la profession des armes avaient une vivacité emportée ; les gens de justice, une gravité rebutante, à quoi ne contribuait pas peu l’usage d’aller toujours en robe, même à la cour. Il en était de même des universités et des médecins. Les marchands portaient encore de petites robes lorsqu’ils s’assemblaient, et qu’ils allaient chez les ministres, et les plus grands commerçants étaient alors des hommes grossiers ; mais les maisons, les spectacles, les promenades publiques, où l’on commençait à se rassembler pour goûter une vie plus douce, rendirent peu à peu l’extérieur de tous les citoyens presque semblable. On s’aperçoit aujourd’hui, jusque dans le fond d’une boutique, que la politesse a gagné toutes les conditions. Les provinces se sont ressenties avec le temps de tous ces changements.

On est parvenu enfin à ne plus mettre le luxe que dans le goût et dans la commodité. La foule de pages et de domestiques de livrée a disparu, pour mettre plus d’aisance dans l’intérieur des maisons. On a laissé la vaine pompe et le faste extérieur aux nations chez lesquelles on ne sait encore que se montrer en public, et où l’on ignore l’art de vivre.

L’extrême facilité introduite dans le commerce du monde, l’affabilité, la simplicité, la culture de l’esprit, ont fait de Paris une ville qui, pour la douceur de la vie, l’emporte probablement de beaucoup sur Rome et sur Athènes, dans le temps de leur splendeur.

Cette foule de secours toujours prompts, toujours ouverts pour toutes les sciences, pour tous les arts, les goûts, et les besoins ; tant d’utilités solides réunies avec tant de choses agréables, jointes à cette franchise particulière aux Parisiens, tout cela engage un grand nombre d’étrangers à voyager ou à faire leur séjour dans cette patrie de la société. Si quelques natifs en sortent, ce sont ceux qui, appelés ailleurs par leurs talents, sont un témoignage honorable à leur pays ; ou c’est le rebut de la nation, qui essaye de profiter de la considération qu’elle inspire ; ou bien ce sont des émigrants qui préfèrent encore leur religion à leur patrie, et qui vont ailleurs chercher la misère ou la fortune, à l’exemple de leurs pères chassés de France par la fatale injure faite aux cendres