Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
LETTRE À M. ROQUES.

pondu avec enthousiasme : pour qui j’avais tout quitté, tout sacrifié, et sur qui je fondais enfin le bonheur des derniers jours de ma vie. Je n’ai pas balancé.

Il m’a fallu à la fois combattre contre mon persécuteur Maupertuis, et pour M. Kœnig mon ami, et pour moi-même. Il a fallu, dans le temps même que l’auteur[1] de la Vénus physique et de ses étranges lettres m’accablait, répondre à un livre plus mauvais encore, qu’il a fait composer[2]. Oui, monsieur, c’est lui qui a porté La Beaumelle à faire cette malheureuse édition du Siècle de Louis XIV, dans laquelle lui seul, des gens de lettres qui étaient auprès du roi de Prusse, n’est pas offensé. S’il n’avait pas excité La Beaumelle contre moi par une calomnie, ce jeune homme, à qui je n’avais jamais donné lieu de se plaindre de moi, n’aurait point fait ce scandaleux ouvrage. Mon persécuteur a beau employer tous ses artifices pour faire désavouer aujourd’hui à La Beaumelle cette lettre dans laquelle ses manœuvres sont constatées, la lettre existe, monsieur, entre vos mains ; et j’en ai gardé soigneusement la copie authentique, transcrite par vous-même. Cette lettre qui sert à convaincre Maupertuis d’infidélité envers son maître, et de calomnie envers moi ; cette lettre, dis-je, est encore plus reconnue que celle de Leibnitz, qui a servi à manifester les erreurs de son amour-propre à la face de tout le monde.

Il peut faire déclarer faussaire qui il voudra dans une assemblée de son Académie ; il sera déclaré injuste par tout le public. Il verra que dans la littérature on ne réussit point par les souterrains de la fraude comme il a dû voir qu’on ne subjugue point les esprits par la hauteur et la violence ; qu’il ne faut dans les écrits que de la raison, et dans la société que de la douceur ; qu’enfin la vérité, quoique peu circonspecte par cela même qu’elle est la vérité, la candeur bien que trop simple, l’innocence sans politique, confondent tôt ou tard l’erreur, le manége, la violence. La Beaumelle, qui est jeune encore, apprendra, à ses dépens, à ne plus faire servir son amour-propre imprudent et sans pudeur à l’amour-propre artificieux d’un autre. Je m’adresse, comme M. Kœnig, au public, juge souverain des ouvrages et des hommes. Ce public déteste l’oppresseur, se moque de l’absurde, plaint le malheureux, et aime la vérité.

  1. Maupertuis.
  2. La Beaumelle, dans sa Réponse, s’efforce de mettre Maupertuis hors de cause. Il déclare que le ressentiment seul lui a dicté sa critique. Et, faisant amende honorable, il ajoute : « J’ai manqué à moi-même au point de vous (Voltaire) traiter avec cette hauteur qui n’est pas même permise à la supériorité. » (G. A.)