Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
116
SUPPLÉMENT AU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

Hénault de mêler ici son nom à celui d’un homme tel que vous ; mais la vérité de l’histoire exige que je le cite, et que j’atteste sa bonne foi et sa candeur. C’est lui seul qui a rapporté cette anecdote. Il a souffert la hardiesse que j’ai prise de le contredire, hardiesse d’autant plus excusable en moi qu’on sait à quel point j’aime et j’estime son ouvrage[1] et sa personne. Il permettra encore que je révèle ce qui s’est passé entre lui et moi à ce sujet, parce que mon respect pour la vérité est égal à l’amitié que j’ai pour lui.

Je lui dis avant mon départ : « Êtes-vous bien sûr que le feu roi ait tenu à un ambassadeur d’Angleterre un discours qui me semble si peu convenable ? Il aurait pu parler ainsi à un ministre des États-Généraux, parce qu’en effet il avait été le maître chez eux ; mais certainement il ne l’avait jamais été chez les Anglais. Il devait la paix à cette nation, et même une partie de ses frontières : comment donc aurait-il pu s’exprimer d’une manière si peu conforme à sa situation, et qui ne pouvait manquer de lui attirer une réponse très-désagréable d’un homme tel que milord Stair, dont vous avez connu le caractère ? — Vous avez raison, me répondit-il ; M. de Torcy m’a dit les mêmes choses que vous ; il m’a ajouté que jamais le comte de Stair n’avait parlé au roi qu’en sa présence, et il m’a protesté n’avoir jamais entendu prononcer ces paroles à Louis XIV. — Pourquoi donc les avez-vous rapportées ? » lui dis-je. Il me fit l’honneur de me répliquer qu’elles étaient imprimées avant que M. le marquis de Torcy l’eût averti, et qu’il avait cité cette anecdote dans son livre sur la foi des hommes les plus considérables de la cour. Il disait vrai, et il avait pour lui des témoignages nombreux et respectables. Je lui repartis que, selon la doctrine des probabilités, le témoignage de M. de Torcy, seul témoin nécessaire, joint à toutes les vraisemblances qui sont très-fortes, anéantissait le rapport de tous ceux qui n’avaient pas été témoins, quelque unanime qu’il pût être, et quelque autorité que lui donnassent les noms les plus illustres. Il me semble qu’à la fin de la conversation M. le président Hénault eut la bonté de convenir qu’à la première édition de son livre, qui sera sans doute souvent réimprimé, parce qu’il sera toujours nécessaire, il mettrait un petit correctif à cette anecdote, en la rapportant comme un ouï-dire[2].

  1. Voyez tome XIV, page 70.
  2. Le président Hénault n’a mis aucun correctif à sa phrase dans les éditions de 1756 et de 1768. Voyez l’Abrégé chronologique, à l’année 1714.