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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/190

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d’États qu’au commencement du siècle, si on excepte Mantoue, devenue patrimoine autrichien.

La Savoie donna alors un grand spectacle au monde et une grande leçon aux souverains. Le roi de Sardaigne, duc de Savoie, ce Victor-Amédée, tantôt allié, tantôt ennemi de la France et de l’Autriche, et dont l’incertitude avait passé pour politique, lassé des affaires et de lui-même, abdiqua, par un caprice, en 1730, à l’âge de soixante-quatre ans, la couronne qu’il avait portée le premier de sa famille, et se repentit par un autre caprice un an après. La société de sa maîtresse, devenue sa femme, la dévotion et le repos, ne purent satisfaire une âme occupée pendant cinquante ans des affaires de l’Europe. Il fit voir quelle est la faiblesse humaine, et combien il est difficile de remplir son cœur sur le trône et hors du trône. Quatre souverains, dans ce siècle, renoncèrent à la couronne : Christine, Casimir, Philippe V, et Victor-Amédée. Philippe V ne reprit le gouvernement que malgré lui ; Casimir n’y pensa jamais ; Christine en fut tentée quelque temps par un dégoût qu’elle eut à Rome ; Amédée seul voulut remonter par la force sur le trône que son inquiétude lui avait fait quitter. La suite de cette tentative est connue. Son fils, Charles-Emmanuel, aurait acquis une gloire au-dessus des couronnes, en remettant à son père celle qu’il tenait de lui, si ce père seul l’eût redemandée, et si la conjoncture des temps l’eût permis ; mais c’était, dit-on, une maîtresse ambitieuse qui voulait régner, et tout le conseil a prétendu être[1] forcé d’en prévenir les suites funestes, et de faire arrêter celui qui avait été son souverain. Il mourut depuis en prison, en 1732. Il est très-faux que la cour de France voulut envoyer vingt mille hommes pour défendre le père contre le fils, comme on l’a dit dans des Mémoires de ce temps-là. Ni l’abdication de ce roi, ni sa tentative pour reprendre le sceptre, ni sa prison, ni sa mort, ne causèrent le moindre mouvement chez les nations voisines. Ce fut un terrible événement qui n’eut aucune suite[2]. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il est triste pour

  1. On lisait dans toutes les éditions : « le conseil fut forcé », etc. Le texte que je donne est celui de l’exemplaire dont j’ai parlé dans l’Avertissement. (B.)
  2. Victor-Amédée avait un fils aîné qui, rempli de qualités aimables, en faisait espérer de brillantes. Il mourut à dix-sept ans. Sa mort plongea son père dans un désespoir qui fit craindre pour sa vie. Cependant son courage triompha de sa douleur. Il s’occupa de son second fils, que jusque-là il avait négligé, et traité même avec dureté, parce que l’extérieur peu avantageux de ce prince l’humiliait, et que sa douceur et sa timidité naturelles, qualités trop opposées au caractère impétueux du roi Victor, lui paraissaient annoncer un défaut d’activité et de courage. Il donna cependant tous ses soins à l’instruction de ce fils, le seul qui lui restât ; sans cesse