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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/317

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guerre dans les commencements d’une autorité qu’il fallait affermir, et qui n’était encore soutenue d’aucun subside réglé ; mais l’animosité contre la cour de France allait si loin, les anciennes défiances étaient si invétérées, qu’un député des états, en présentant le stathouder aux États-Généraux, le jour de l’installation, avait dit dans son discours que « la république avait besoin d’un chef contre un voisin ambitieux et perfide qui se jouait de la foi des traités ». Paroles étranges pendant qu’on traitait encore, et dont Louis XV ne se vengea qu’en n’abusant pas de ses victoires : ce qui doit paraître encore plus surprenant.

Cette aigreur violente était entretenue dans tous les esprits par la cour de Vienne, toujours indignée qu’on eût voulu dépouiller Marie-Thérèse de l’héritage de ses pères, malgré la foi des traités : on s’en repentait, mais les alliés n’étaient pas satisfaits d’un repentir. La cour de Londres, pendant les conférences de Bréda, remuait l’Europe pour faire de nouveaux ennemis à Louis XV.

Enfin le ministère de George II fit paraître dans le fond du Nord un secours formidable. L’impératrice des Russes, Élisabeth Pétrowna, fille du czar Pierre, fit marcher cinquante mille[1] hommes en Livonie, et promit d’équiper cinquante galères. Cet armement devait se porter partout où voudrait le roi d’Angleterre, moyennant cent mille livres sterling seulement. Il en coûtait quatre fois autant pour les dix-huit mille Hanovriens qui servaient dans l’armée anglaise. Ce traité, entamé longtemps auparavant, ne put être conclu que le mois de juin 1747.

Il n’y a point d’exemple d’un si grand secours venu de si loin, et rien ne prouvait mieux que le czar Pierre le Grand, en changeant tout dans ses vastes États, avait préparé de grands changements dans l’Europe. Mais pendant qu’on soulevait ainsi les extrémités de la terre, le roi de France avançait ses conquêtes : la Flandre hollandaise fut prise aussi rapidement que les autres places l’avaient été[2] ; le grand objet du maréchal de Saxe était toujours de prendre Mastricht. Ce n’est pas une de ces places qu’on puisse prendre aisément après des victoires, comme presque toutes les villes d’Italie. Après la prise de Mastricht on allait à Nimègue ; et il était probable qu’alors les Hollandais auraient demandé la paix avant qu’un Russe eût pu paraître pour les secourir ; mais on ne

  1. Dans ses Pensées sur le gouvernement (Mélanges, 1752), Voltaire ne parle que de quarante mille hommes.
  2. On avança d’autant plus vite que les places étaient délabrées, et que la plupart des troupes de la république avaient été prises par les Français dans les places des Pays-Bas autrichiens. (G. A.)