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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/47

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langer ; et le maréchal de Villars lui présenta le brevet de colonel et celui d’une pension de douze cents livres.

Le nouveau colonel alla à Versailles ; il y reçut les ordres du ministre de la guerre. Le roi le vit, et haussa les épaules. Cavalier, observé par le ministère, craignit, et se retira en Piémont. De là il passa en Hollande et en Angleterre. Il fit la guerre en Espagne, et y commanda un régiment de réfugiés français à la bataille d’Almanza. Ce qui arriva à ce régiment sert à prouver la rage des guerres civiles, et combien la religion ajoute à cette fureur. La troupe de Cavalier se trouva opposée à un régiment français. Dès qu’ils se reconnurent, ils fondirent l’un sur l’autre avec la baïonnette sans tirer. On a déjà remarqué[1] que la baïonnette agit peu dans les combats. La contenance de la première ligne, composée de trois rangs, après avoir fait feu, décide du sort de la journée ; mais ici la fureur fit ce que ne fait presque jamais la valeur. Il ne resta pas trois cents hommes de ces régiments. Le maréchal de Berwick contait souvent avec étonnement cette aventure.

Cavalier est mort officier général et gouverneur de l’Île de Jersey, avec une grande réputation de valeur, n’ayant de ses premières fureurs conservé que le courage, et ayant peu à peu substitué la prudence à un fanatisme qui n’était plus soutenu par l’exemple[2].

Le maréchal de Villars, rappelé du Languedoc, fut remplacé par le maréchal de Berwick. Les malheurs des armes du roi enhardissaient alors les fanatiques du Languedoc, qui espéraient les secours du ciel et en recevaient des alliés. On leur faisait toucher de l’argent par la voie de Genève. Ils attendaient des officiers, qui devaient leur être envoyés de Hollande et d’Angleterre. Ils avaient des intelligences dans toutes les villes de la province.

On peut mettre au rang des plus grandes conspirations celle qu’ils formèrent de saisir dans Nîmes le duc de Berwick et l’intendant Bâville, de faire révolter le Languedoc et le Dauphiné, et d’y introduire les ennemis. Le secret fut gardé par plus de mille conjurés. L’indiscrétion d’un seul fit tout découvrir. Plus de deux cents personnes périrent dans les supplices. Le maréchal de Berwick fit exterminer, par le fer et par le feu, tout ce qu’on rencontra de ces malheureux. Les uns moururent les armes à la main, les autres sur les roues ou dans les flammes. Quelques-uns,

  1. Voyez tome XIV, page 360.
  2. Voir encore sur Cavalier le Supplément au Siècle de Louis XIV.