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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/51

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gruisme étaient surtout des idées rares. Dieu, par sa science moyenne, consulte habilement la volonté de l’homme pour savoir ce que l’homme fera quand il aura eu sa grâce ; et ensuite, selon l’usage qu’il devine que fera le libre arbitre, il prend ses arrangements en conséquence pour déterminer l’homme, et ces arrangements sont le congruisme.

Les dominicains espagnols, qui n’entendaient pas plus cette explication que les jésuites, mais qui étaient jaloux d’eux, écrivirent que le livre de Molina était le précurseur de l’antéchrist.

La cour de Rome évoqua la dispute, qui était déjà entre les mains des grands inquisiteurs, et ordonna, avec beaucoup de sagesse, le silence aux deux partis, qui ne le gardèrent ni l’un ni l’autre.

Enfin on plaida sérieusement devant Clément VIII, et, à la honte de l’esprit humain, tout Rome prit parti dans le procès. Un jésuite, nommé Achille Gaillard, assura le pape qu’il avait un moyen sûr de rendre la paix à l’Église : il proposa gravement d’accepter la prédestination gratuite, à condition que les dominicains admettraient la science moyenne, et qu’on ajusterait ces deux systèmes comme on pourrait. Les dominicains refusèrent l’accommodement d’Achille Gaillard. Leur célèbre Lemos soutint le concours prévenant et le complément de la vertu active. Les congrégations se multiplièrent sans que personne s’entendît.

Clément VIII mourut avant d’avoir pu réduire les arguments pour et contre à un sens clair. Paul V reprit le procès ; mais comme lui-même en eut un plus important avec la république de Venise, il fit cesser toutes les congrégations, qu’on appela et qu’on appelle encore de auxiliis. On leur donnait ce nom, aussi peu clair par lui-même que les questions qu’on agitait, parce que ce mot signifie secours, et qu’il s’agissait, dans cette dispute, des secours que Dieu donne à la volonté faible des hommes. Paul V finit par ordonner aux deux partis de vivre en paix[1].

Pendant que les jésuites établissaient leur science moyenne et leur congruisme, Cornélius Jansénius, évêque d’Ypres, renouvelait quelques idées de Raïus dans un gros livre sur saint Augustin, qui ne fut imprimé qu’après sa mort ; de sorte qu’il devint chef de secte, sans jamais s’en douter[2]. Presque personne ne lut

  1. En 1607.
  2. Corneille Jansen, dit Jansénius, était mort de la peste en 1638. Loin de penser à être chef de secte, il hésitait à publier son livre sur la doctrine de saint Augustin. Il voulait préalablement le soumettre à l’examen de la cour pontificale, et dans sa dernière maladie il écrivait au pape Urbain VIII : « Je sais qu’il est difficile de