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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/546

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CHAPITRE XXX.


vengeance par beaucoup de perfidie : elle ne pouvait s’exécuter autrement. Le duc de Guise fut tué dans l’appartement du roi[1] ; mais cette troupe des quarante-cinq, qui avait trempé ses mains dans le sang de leur général, n’osa pas se charger du meurtre d’un prêtre. On trouva quatre malheureux soldats moins scrupuleux, qui le tuèrent à coups de hallebarde.

Ce double assassinat faisait espérer au roi que la Ligue, consternée, serait bientôt dissipée ; mais il s’aperçut qu’il n’avait commis qu’une atrocité imprudente. Le duc de Mayenne, frère des deux princes égorgés, arma pour venger leur mort. Le pape Sixte-Quint excommunia Henri III. Paris tout entier se souleva et courut aux armes.

Le véridique de Thou nous instruit que Henri de Navarre, ce même Henri IV dont la mémoire nous est si chère, avait toujours rejeté avec horreur les offres que plusieurs gentilshommes de son parti lui avaient faites d’assassiner Henri de Guise. Cependant il avait plus à se plaindre du duc de Guise que Henri III. C’était à lui précisément que Guise en voulait ; c’était lui que Guise avait fait déclarer par les états indigne de posséder jamais la couronne de France ; c’était lui que la l’action de Guise avait fait proscrire à Rome par une bulle où il était appelé « génération bâtarde et détestable de la maison de Bourbon » ; c’était lui qu’en effet le duc de Guise voulait faire déclarer bâtard, sous prétexte que sa mère, Jeanne de Navarre, avait été autrefois promise en mariage au duc de Clèves. Malgré tant de raisons, Henri IV rejeta constamment une vengeance honteuse, et Henri III l’exerça d’une manière qui devait révolter tous les esprits.

Toute la France, excepté la cour du roi, disait que l’assassinat était un aussi grand crime dans un souverain que dans un autre homme ; crime même d’autant plus odieux qu’il n’est que trop facile, et que de si affreux exemples sont capables de porter une nation à les imiter.

Anne d’Esté, mère des deux princes assassinés, et Catherine de Clèves, veuve du duc de Guise, présentèrent requête au parlement de Paris contre les assassins. Le parlement répondit :

« Vu par la cour, toutes les chambres assemblées, la requête à elle présentée, etc. ; tout considéré, ladite cour a ordonné et ordonne commission d’icelle être délivrée à ladite suppliante. »

  1. Le 23 décembre 1588 (voyez une note du chant III de la Henriade, tome VIII, page 99 ; tome XII, pages 534-535 ; et ci-après, pages 538-539).