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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/555

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ARRÊTS DE PLUSIEURS PARLEMENTS.


d’un coup de fusil chargé à balle. Cet accident ne troubla pas la cérémonie. De Thou rapporte que les moines crièrent que cet aumônier était sauvé, puisqu’il était mort dans une si sainte cérémonie ; et le peuple ne prit seulement pas garde à la mort de l’aumônier.

Cependant on pendait sans miséricorde tous ceux qui parlaient de traiter avec le roi. Ce prince, victorieux à Ivry, était déjà devant les portes de Paris avec des troupes plus formidables que la procession des moines.

Il fit préparer[1] une escalade du côté du faubourg Saint-Jacques, pendant une nuit fort sombre. Cette entreprise allait réussir. Qui croirait qu’un libraire, un avocat et un jésuite[2], empêchèrent Henri IV de se rendre maître de sa capitale ? Le jésuite, d’une vieille hache, coupa la main d’un soldat qui avait déjà le poignet appuyé sur la muraille ; on jeta de la paille allumée dans le fossé où les royalistes étaient descendus, l’alarme fut donnée partout, et Henri IV fut obligé de se retirer.

La guerre continua de tous côtés. Les Parisiens redoublaient tous les jours leur serment de ne point reconnaître le roi.

Le nouveau pape, Grégoire XIV, en voyait des troupes au secours de la Ligue ; il fournissait aux factieux de Paris quinze mille livres par mois du trésor que Sixte-Quint avait amassé. Ces troupes marchaient avec un archevêque nommé Mateucci, qui faisait la fonction de commissaire général de l’armée. La ville de Verdun était son rendez-vous. Le jésuite Jouvency avoue, dans son Histoire de la Compagnie de Jésus, que le supérieur des novices de Paris, nommé Nigri, rassembla tous les novices de l’ordre, et les mena à Verdun à l’armée papale, dans laquelle ils furent incorporés. Ce trait, qui peut paraître incroyable, ne l’est point après tout ce que nous avons vu.

Au milieu de tant d’événements, les uns horribles, les autres ridicules, la faction qu’on nommait des Seize, qui avait dans Paris beaucoup plus d’autorité que le parlement, et qui balançait même celle du duc de Mayenne, donna un nouvel exemple des excès d’atrocité où les guerres civiles entraînent les hommes. Ces

  1. 10 septembre 1590. (Note de Voltaire.)
  2. Pierre de L’Estoile n’a pas conservé le nom du jésuite ; mais il dit que l’avocat s’appelait Beledens, et le libraire, Nivelle. Il y a eu plusieurs libraires du nom de Nivelle. Cette famille avait sa sépulture dans l’église Saint-Benoît. Sébastien Nivelle, que son épitaphe qualifiait la perle des libraires, avait soixante-sept ans en 1590, et mourut en 1603, à quatre-vingts ans. Il est donc probable que ce n’est pas lui, mais un de ses fils, Nicolas ou Robert, qui était de garde le 10 septembre 1590. (B.)