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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/85

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non-seulement sur l’axiome de plusieurs jurisconsultes qui assurent que qui renonce à tout n’est plus tenu à rien, et que tout homme est libre de choisir son séjour, mais sur ce qu’en effet ce cardinal était né à Sedan dans le temps que son père était encore souverain de Sedan : il regardait sa qualité de prince indépendant comme un caractère ineffaçable ; et quant au titre de cardinal doyen, qu’il appelle la première place après la suprême, il se justifiait par l’exemple de tous ses prédécesseurs, qui ont passé incontestablement avant les rois à toutes les cérémonies de Rome.

La cour de France et le parlement de Paris avaient des maximes entièrement différentes. Le procureur général d’Aguesseau, depuis chancelier, l’accusa devant les chambres assemblées, qui rendirent contre lui un décret de prise de corps, et confisquèrent tous ses biens[1]. Il vécut à Rome, honoré quoique pauvre, et mourut victime du quiétisme, qu’il méprisait, et de l’amitié, qu’il avait noblement conciliée avec son devoir.

Il ne faut pas omettre que, lorsqu’il se retira des Pays-Bas à Rome, on sembla craindre à la cour qu’il ne devînt pape. J’ai entre les mains la lettre du roi au cardinal de La Trimouille, du 26 mai 1710, dans laquelle il manifeste cette crainte. « On peut tout présumer, dit-il, d’un sujet prévenu de l’opinion qu’il ne dépend que de lui seul. Il suffira que la place dont le cardinal de Bouillon est présentement ébloui lui paraisse inférieure à sa naissance et à ses talents ; il se croira toute voie permise pour parvenir à la première place de l’Église, lorsqu’il en aura contemplé la splendeur de plus près. »

Ainsi, en décrétant le cardinal de Bouillon, et en donnant ordre qu’on le mît dans les prisons de la Conciergerie si on pouvait se saisir de lui, on craignit qu’il ne montât sur un trône qui est regardé comme le premier de la terre par tous ceux de la religion catholique ; et qu’alors, en s’unissant avec les ennemis de Louis XIV, il ne se vengeât encore plus que le prince Eugène, les armes de l’Église ne pouvant rien par elles-mêmes, mais pouvant alors beaucoup par celles d’Autriche.

  1. 20 juin 1740.