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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome15.djvu/99

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LETTRE À M. ROQUES[1]


CONSEILLER ECCLÉSIASTIQUE


DU SÉRÉNISSIME LANDGRAVE DE HESSE-HOMBOURG.




Monsieur,

Je n’ai dédié à personne le Siècle de Louis XIV, parce que ni la vérité ni la liberté n’aiment les dédicaces, et que ces deux biens, qui devraient appartenir au genre humain, n’ont besoin du suffrage de personne. Mais je vous dédie ce supplément, quoiqu’il soit aussi vrai et aussi libre que le reste de l’ouvrage. La raison en est que je suis forcé de vous appeler en témoignage devant l’Europe littéraire. La querelle dont il s’agit pourrait bien être méprisable par elle-même, comme toutes les querelles, et confondue bientôt dans la foule de tant de disputes littéraires, de tant de différends dont la mémoire se perd avant même que la mémoire des combattants soit anéantie. Mais le rapport qui lie cette dispute aux événements du siècle de Louis XIV, les éclaircissements que les lecteurs en pourront tirer pour mieux connaître ces temps mémorables, serviront peut-être à la sauver pour quelque temps de l’oubli où les ouvrages polémiques semblent condamnés.

C’est vous, monsieur, qui m’apprîtes le premier qu’un jeune homme élevé à Genève, nommé M. de La Beaumelle, faisait réimprimer clandestinement la première édition du Siècle de Louis XIV à Francfort-sur-le-Mein.

C’est vous qui m’apprîtes que cette édition subreptice était chargée de quatre lettres[2] de La Beaumelle, dans lesquelles il

  1. Le même à qui sont adressées plusieurs lettres de la Correspondance générale, années 1752 et 1753 ; voyez aussi la note 2 de la page précédente.
  2. Il n’y a que trois lettres, toutes les trois satiriques. Voici le début de la première, on jugera du reste : « À monsieur de Voltaire. Je viens de lire, monsieur, votre Siècle de Louis XIV. Je l’ai trouvé, comme tout ce que vous faites, admirable, plein de feu, plein de sens. À la vivacité de votre style, on ne le croirait pas l’ouvrage de vingt années ; l’esprit s’appesantit sur les matières à force de les manier ; mais le vôtre ne se ressent ni du poids de l’âge ni de la longueur du travail : vous êtes même plus antithétique, plus saillant, plus décousu que jamais... » (G. A.)