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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome16.djvu/441

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ANCÊTRES DE PIERRE LE GRAND.


et les bornes de l’empire étaient toujours très-resserrées du côté de la Suède.

Les Turcs étaient alors plus à craindre : ils tombaient sur la Pologne, et menaçaient les pays du czar, voisins de la Tartarie Crimée, l’ancienne Chersonèse taurique. Ils prirent, en 1671, la ville importante de Kaminieck, et tout ce qui dépendait de la Pologne en Ukraine. Les Cosaques de l’Ukraine, qui n’avaient jamais voulu de maîtres, ne savaient alors s’ils appartenaient à la Turquie, à la Pologne, ou à la Russie. Le sultan Mahomet IV, vainqueur des Polonais, et qui venait de leur imposer un tribut, demanda avec tout l’orgueil d’un Ottoman et d’un vainqueur que le czar évacuât tout ce qu’il possédait en Ukraine, et fut refusé avec la même fierté. On ne savait point alors déguiser l’orgueil par les dehors de la bienséance. Le sultan, dans sa lettre, ne traitait le souverain des Russies que de hospodar chrétien, et s’intitulait très-glorieuse majesté, roi de tout l’univers. Le czar répondit « qu’il n’était pas fait pour se soumettre à un chien de mahométan, et que son cimeterre valait bien le sabre du Grand Seigneur ».

Alexis alors forma un dessein qui semblait annoncer l’influence que la Russie devait avoir un jour dans l’Europe chrétienne. Il envoya des ambassadeurs au pape et à presque tous les grands souverains de l’Europe, excepté à la France, alliée des Turcs, pour tâcher de former une ligue contre la Porte-Ottomane. Ses ambassadeurs ne réussirent dans Rome qu’à ne point baiser les pieds du pape, et n’obtinrent ailleurs que des vœux impuissants ; les querelles des princes chrétiens, et les intérêts qui naissent de ces querelles mêmes, les mettant toujours hors d’état de se réunir contre l’ennemi de la chrétienté.

Les Ottomans cependant menaçaient de subjuguer la Pologne, qui refusait de payer le tribut. Le czar Alexis la secourut du côté de la Crimée, et le général de la couronne, Jean Sobieski, lava la honte de son pays dans le sang des Turcs[1], à la célèbre bataille de Choczim, qui lui fraya le chemin au trône. Alexis disputa ce trône, et proposa d’unir ses vastes États à la Pologne, comme les Jagellons y avaient joint la Lithuanie ; mais plus son offre était grande, moins elle fut acceptée. Il était très-digne, dit-on, de ce nouveau royaume par la manière dont il gouvernait les siens. C’est lui qui le premier fit rédiger un code de lois, quoique imparfaites ; il introduisit des manufactures de toile et de soie, qui à la vérité ne se soutinrent pas, mais qu’il eut le mérite d’établir. Il

  1. En 1674. (Note de Voltaire.)