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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/104

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AGRICULTURE.

pendant tout le temps du règne de Louis XIV. On ne put vendre son blé hors du royaume que sur une requête présentée au conseil, qui jugeait de l’utilité ou du danger de la vente, ou plutôt qui s’en rapportait à l’intendant de la province. Ce n’est qu’en 1764 que le conseil de Louis XV, plus éclairé, a rendu le commerce des blés libre, avec les restrictions convenables dans les mauvaises années.


DE LA GRANDE ET PETITE CULTURE.


À l’article Ferme, qui est un des meilleurs de ce grand ouvrage, on distingue la grande et la petite culture. La grande se fait par les chevaux, la petite par les bœufs ; et cette petite, qui s’étend sur la plus grande partie des terres de France, est regardée comme un travail presque stérile, et comme un vain effort de l’indigence.

Cette idée en général ne me paraît pas vraie. La culture par les chevaux n’est guère meilleure que celle par les bœufs. Il y a des compensations entre ces deux méthodes, qui les rendent parfaitement égales. Il me semble que les anciens n’employèrent jamais les chevaux à labourer la terre ; du moins il n’est question que de bœufs dans Hésiode, dans Xénophon, dans Virgile, dans Columelle. La culture avec des bœufs n’est chétive et pauvre que lorsque des propriétaires malaisés fournissent de mauvais bœufs, mal nourris, à des métayers sans ressources qui cultivent mal. Ce métayer, ne risquant rien, puisqu’il n’a rien fourni, ne donne jamais à la terre ni les engrais ni les façons dont elle a besoin ; il ne s’enrichit point, et il appauvrit son maître : c’est malheureusement le cas où se trouvent plusieurs pères de famille[1].

Le service des bœufs est aussi profitable que celui des chevaux, parce que, s’ils labourent moins vite, on les fait travailler plus de journées sans les excéder ; ils coûtent beaucoup moins à nourrir ; on ne les ferre point, leurs harnais sont moins dispendieux, on les revend, ou bien on les engraisse pour la boucherie : ainsi leur vie et leur mort procurent de l’avantage ; ce qu’on ne peut pas dire des chevaux.

  1. M. de Voltaire indique ici la véritable différence entre la grande et la petite culture. L’une et l’autre peuvent employer des bœufs ou des chevaux. Mais la grande culture est celle qui se fait par les propriétaires eux-mêmes ou par des fermiers ; la petite culture est celle qui se fait par un métayer à qui le propriétaire fournit les avances foncières de la culture, à condition de partager les fruits avec lui. (K.)