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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/112

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AIR.

de Rome si malsaine, ce sont les eaux croupissantes, ce sont les anciens canaux qui, creusés sous terre de tous côtés, sont devenus le réceptacle de toutes les bêtes venimeuses. C’est de là que s’exhale continuellement un poison mortel. Allez à Frescati, ce n’est plus le même terrain, ce ne sont plus les mêmes exhalaisons.

Mais pourquoi l’élément supposé de l’air changerait-il de nature à Frescati ? Il se chargera, dit-on, dans la campagne de Rome de ces exhalaisons funestes, et, n’en trouvant pas à Frescati, il deviendra plus salutaire. Mais encore une fois, puisque ces exhalaisons existent, puisqu’on les voit s’élever le soir en nuages, quelle nécessité de les attribuer à une autre cause ? Elles montent dans l’atmosphère, elles s’y dissipent, elles changent de forme ; le vent, dont elles sont la première cause, les emporte, les sépare ; elles s’atténuent, elles deviennent salutaires de mortelles qu’elles étaient.

Une autre objection, c’est que ces vapeurs, ces exhalaisons, renfermées dans un vase de verre, s’attachent aux parois et tombent, ce qui n’arrive jamais à l’air. Mais qui vous a dit que si les exhalaisons humides tombent au fond de ce cristal, il n’y a pas incomparablement plus de vapeurs sèches et élastiques qui se soutiennent dans l’intérieur de ce vase ? L’air, dites-vous, est purifié après une pluie. Mais nous sommes en droit de vous soutenir que ce sont les exhalaisons terrestres qui se sont purifiées, que les plus grossières, les plus aqueuses, rendues à la terre, laissent les plus sèches et les plus fines au-dessus de nos têtes, et que c’est cette ascension et cette descente alternative qui entretient le jeu continuel de la nature.

Voilà une partie des raisons qu’on peut alléguer en faveur de l’opinion que l’élément de l’air n’existe pas. Il y en a de très spécieuses, et qui peuvent au moins faire naître des doutes ; mais ces doutes céderont toujours à l’opinion commune. On n’a déjà pas trop de quatre éléments. Si on nous réduisait à trois, nous nous croirions trop pauvres. On dira toujours l’élément de l’air. Les oiseaux voleront toujours dans les airs, et jamais dans les vapeurs. On dira toujours : L’air est doux ; l’air est serein ; et jamais : Les vapeurs sont douces, sont sereines.