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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/115

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AIR.

pesanteur des vapeurs. Vous donnez de l’élasticité à un être que vous ne voyez pas, et nous à des vapeurs que nous voyons distinctement dans la pompe à feu. Vous rafraîchissez vos poumons avec de l’air, et nous avec des exhalaisons des corps qui nous environnent, etc.

Permettez-nous donc de croire aux vapeurs ; nous trouvons fort bon que vous soyez du parti de l’air, et nous ne demandons que la tolérance[1].


QUE L’AIR OU LA RÉGION DES VAPEURS N’APPORTE POINT LA PESTE.


J’ajouterai encore une petite réflexion : c’est que ni l’air, s’il y en a, ni les vapeurs, ne sont le véhicule de la peste. Nos vapeurs, nos exhalaisons, nous donnent assez de maladies. Le gouvernement s’occupe peu du dessèchement des marais, il y perd plus qu’il ne pense : cette négligence répand la mort sur des cantons considérables. Mais pour la peste proprement dite, la peste native d’Égypte, la peste à charbon, la peste qui fit périr à Marseille et dans les environs soixante et dix mille hommes en 1720, cette véritable peste n’est jamais apportée par les vapeurs ou par ce qu’on nomme air ; cela est si vrai qu’on l’arrête avec un seul fossé : on lui trace par des lignes une limite qu’elle ne franchit jamais.

Si l’air ou les exhalaisons la transmettaient, un vent de sud-est l’aurait bien vite fait voler de Marseille à Paris. C’est dans les habits, dans les meubles, que la peste se conserve ; c’est de là qu’elle attaque les hommes. C’est dans une balle de coton qu’elle fut apportée de Seide, l’ancienne Sidon, à Marseille. Le conseil d’État défendit aux Marseillais de sortir de l’enceinte qu’on leur traça sous peine de mort, et la peste ne se communiqua point au dehors : Non procedes amplius[2].

  1. Voyez le chapitre xxxi des Singularités de la nature (Mélanges, année 1768). Nous remarquerons seulement qu’il s’échappe des corps : 1° des substances expansibles ou élastiques, et que ces substances sont les mêmes que celles qui composent l’atmosphère, aucun froid connu ne les réduit en liqueur ; 2° d’autres exhalaisons qui se dissolvent dans les premières sans leur ôter ni leur transparence ni leur expansibilité. Le froid et d’autres causes les précipitent ensuite sous la forme de pluie ou de brouillards. M. de Voltaire, en écrivant cet article, semble avoir deviné en partie ce que MM. Priestley, Lavoisier, Volta, etc., ont découvert quelques années après sur la composition de l’atmosphère. (K.)
  2. Job, XXXIII, 2.