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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/174

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ÂME.

par lui, puisqu’il y a des philosophes qui croient le vide ; les accidents subsistent bien sans la substance parmi les chrétiens qui croient la transsubstantiation. Dieu, dites-vous, ne peut pas faire ce qui implique contradiction. Il faudrait en savoir plus que vous n’en savez : vous avez beau faire, vous ne saurez jamais autre chose, sinon que vous êtes corps et que vous pensez. Bien des gens qui ont appris dans l’école à ne douter de rien, qui prennent leurs syllogismes pour des oracles, et leurs superstitions pour la religion, regardent Locke comme un impie dangereux. Ces superstitieux[1] sont dans la société ce que les poltrons sont dans une armée : ils ont et donnent des terreurs paniques. Il faut avoir la pitié de dissiper leur crainte ; il faut qu’ils sachent que ce ne seront pas les sentiments des philosophes qui feront jamais tort à la religion. Il est assuré que la lumière vient du soleil, et que les planètes tournent autour de cet astre : on ne lit pas avec moins d’édification dans la Bible que la lumière a été faite avant le soleil, et que le soleil s’est arrêté sur le village de Gabaon. Il est démontré que l’arc-en-ciel est formé nécessairement par la pluie : on n’en respecte pas moins le texte sacré, qui dit que Dieu posa son arc dans les nues, après le déluge, en signe qu’il n’y aurait plus d’inondation.

Le mystère de la Trinité et celui de l’Eucharistie ont beau être contradictoires aux démonstrations connues, ils n’en sont pas moins révérés chez les philosophes catholiques, qui savent que les choses de la raison et de la foi sont de différente nature. La nation des antipodes a été condamnée par les papes[2] et les conciles ; et les papes ont reconnu les antipodes, et y ont porté cette même religion chrétienne dont on croyait la destruction sûre en cas qu’on pût trouver un homme qui, comme on parlait alors, aurait la tête en bas et les pieds en haut par rapport à nous, et qui, comme dit le très peu philosophe saint Augustin, serait tombé du ciel.

Au reste, je vous répète encore qu’en écrivant avec liberté, je ne me rends garant d’aucune opinion ; je ne suis responsable de rien. Il y a peut-être parmi ces songes des raisonnements et même quelques rêveries auxquelles je donnerais la préférence ; mais il n’y en a aucune que je ne sacrifiasse tout d’un coup à la religion et à la patrie.

  1. Voyez la treizième des Lettres philosophiques (Mélanges, année 1734).
  2. Le pape Zacharie. Voyez, tome X, page 304, l’Épitre au prince royal de Prusse, année 1736.