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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/187

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ÂME.

de froid, de pauvreté, de fièvre ; vous aurez la rogne, la gale, la fistule... vous aurez des ulcères dans les genoux et dans le gras des jambes.

« L’étranger vous prêtera à usure, et vous ne lui prêterez point à usure... parce que vous n’aurez pas servi le Seigneur.

« Et vous mangerez le fruit de votre ventre, et la chair de vos fils et de vos filles, etc. »

Il est évident que dans toutes ces promesses et dans toutes ces menaces il n’y a rien que de temporel, et qu’on ne trouve pas un mot sur l’immortalité de l’âme et sur la vie future.

Plusieurs commentateurs illustres ont cru que Moïse était parfaitement instruit de ces deux grands dogmes ; et ils le prouvent par les paroles de Jacob, qui, croyant que son fils avait été dévoré par les bêtes, disait dans sa douleur : « Je descendrai avec mon fils dans la fosse, in infernum (Genèse, chap. xxxvii, vers. 35), dans l’enfer ; » c’est-à-dire je mourrai, puisque mon fils est mort.

Ils le prouvent encore par des passages d’Isaïe et d’Ézéchiel ; mais les Hébreux auxquels parlait Moïse ne pouvaient avoir lu ni Ézéchiel ni Isaïe, qui ne vinrent que plusieurs siècles après.

Il est très inutile de disputer sur les sentiments secrets de Moïse. Le fait est que dans les lois publiques il n’a jamais parlé d’une vie à venir, qu’il borne tous les châtiments et toutes les récompenses au temps présent. S’il connaissait la vie future, pourquoi n’a-t-il pas expressément étalé ce dogme ? et s’il ne l’a pas connue, quel était l’objet et l’étendue de sa mission ? C’est une question que font plusieurs grands personnages : ils répondent que le Maître de Moïse et de tous les hommes se réservait le droit d’expliquer dans son temps aux Juifs une doctrine qu’ils n’étaient pas en état d’entendre lorsqu’ils étaient dans le désert.

Si Moïse avait annoncé le dogme de l’immortalité de l’âme, une grande école des Juifs ne l’aurait pas toujours combattue. Cette grande école des saducéens n’aurait pas été autorisée dans l’État ; les saducéens n’auraient pas occupé les premières charges ; on n’aurait pas tiré de grands-pontifes de leur corps.

Il paraît que ce ne fut qu’après la fondation d’Alexandrie que les Juifs se partagèrent en trois sectes : les pharisiens, les saducéens, et les esséniens. L’historien Josèphe, qui était pharisien, nous apprend, au livre XIII (chap. ix) de ses antiquités[1], que les pharisiens croyaient la métempsycose ; les saducéens croyaient

  1. Voyez surtout le livre II, chapitre xii, de la Guerre des Juifs ; c’est là qu’il donne les détails rapportés par Voltaire. (B.)