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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/192

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AMOUR.

imaginés sur l’amitié sont admirables[1]; nous n’en avons point de pareils. Nous sommes un peu secs en tout. Je ne vois nul grand trait d’amitié dans nos romans, dans nos histoires, sur notre théâtre.

Il n’est parlé d’amitié chez les Juifs qu’entre Jonathas et David. Il est dit que David l’aimait d’un amour plus fort que celui des femmes ; mais aussi il est dit que David, après la mort de son ami, dépouilla Miphibozeth son fils, et le fit mourir.

L’amitié était un point de religion et de législation chez les Grecs. Les Thébains avaient le régiment des amants[2] : beau régiment ! quelques-uns l’ont pris pour un régiment de non-conformistes, ils se trompent ; c’est prendre un accessoire honteux pour le principal honnête. L’amitié chez les Grecs était prescrite par la loi et la religion. La pédérastie était malheureusement tolérée par les mœurs : il ne faut pas imputer à la loi des abus indignes.


AMOUR[3].


Il y a tant de sortes d’amour qu’on ne sait à qui s’adresser pour le définir. On nomme hardiment amour un caprice de quelques jours, une liaison sans attachement, un sentiment sans estime, des simagrées de sigisbé, une froide habitude, une fantaisie romanesque, un goût suivi d’un prompt dégoût : on donne ce nom à mille chimères.

Si quelques philosophes veulent examiner à fond cette matière peu philosophique, qu’ils méditent le banquet de Platon, dans lequel Socrate, amant honnête d’Alcibiade et d’Agathon, converse avec eux sur la métaphysique de l’amour.

Lucrèce en parle plus en physicien ; Virgile suit les pas de Lucrèce : amor omnibus idem[4].

[5] C’est l’étoffe de la nature que l’imagination a brodée. Veux-tu avoir une idée de l’amour ? vois les moineaux de ton jardin ; vois tes pigeons ; contemple le taureau qu’on amène à ta génisse ;

  1. Voyez l'article Arabes. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez l’article Amour socratique. (Id.)
  3. Le commencement de cet article fut ajouté en 1770 dans les Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  4. Géorg., III, 244.
  5. Dans l’édition de 1764 du Dictionnaire philosophique, cet article commençait ainsi : « Amor omnibus idem. Il faut ici recourir au physique. C’est l’étoffe, etc. » L’article tel qu’on le lit aujourd’hui parut en 1770 dans la première partie des Questions sur l’Encyclopédie. (B.)