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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/222

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ANA, ANECDOTES.

était presque sans argent quand il fut saisi. Si le duc de Lerme lavait séduit ou fait séduire, sous la promesse d’une récompense proportionnée à son attentat, assurément Ravaillac l’aurait nommé, lui et ses émissaires, quand ce n’eût été que pour se venger. Il nomma bien le jésuite d’Aubigny, auquel il n’avait fait que montrer un couteau ; pourquoi aurait-il épargné le duc de Lerme ? C’est une obstination bien étrange que celle de n’en pas croire Ravaillac dans son interrogatoire et dans les tortures. Faut-il insulter une grande maison espagnole sans la moindre apparence de preuves ?

Et voilà justement comme on écrit l’histoire[1].

La nation espagnole n’a guère recours à des crimes honteux ; et les grands d’Espagne ont eu dans tous les temps une fierté généreuse qui ne leur a pas permis de s’avilir jusque-là.

Si Philippe II mit à prix la tête du prince d’Orange, il eut du moins le prétexte de punir un sujet rebelle, comme le parlement de Paris mit à cinquante mille écus la tête de l’amiral Coligny, et, depuis, celle du cardinal Mazarin. Ces proscriptions publiques tenaient de l’horreur des guerres civiles. Mais comment le duc de Lerme se serait-il adressé secrètement à un misérable tel que Ravaillac !


BÉVUE SUR LE MARÉCHAL D’ANCRES[2].


Le même auteur[3] dit que « le maréchal d’Ancre et sa femme furent écrasés, pour ainsi dire, par la foudre ». L’un ne fut à la vérité écrasé qu’à coups de pistolet, et l’autre fut brûlée en qualité de sorcière. Un assassinat et un arrêt de mort rendu contre une maréchale de France, dame d’atour de la reine, réputée magicienne, ne font honneur ni à la chevalerie ni à la jurisprudence de ce temps-là. Mais je ne sais pourquoi l’historien s’exprime en ces mots : « Si ces deux misérables n’étaient pas complices de la mort du roi, ils méritaient du moins les plus rigoureux châtiments..… Il est certain que, du vivant même du roi, Concini et sa femme avaient avec l’Espagne des liaisons contraires aux desseins de ce prince. »

  1. Ce vers est de Voltaire ; Charlot, I, VII.
  2. Voyez le chapitre XXXV du Pyrrhonisme de l’histoire (Mélanges, année 1768).
  3. De Bury. Voyez la note 4 de la page précédente.