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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/254

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ANCIENS ET MODERNES.

davantage ; mais ils ont de bien plus grands défauts. On ose dire que les belles scènes de Corneille et les touchantes tragédies de Racine l’emportent autant sur les tragédies de Sophocle et d’Euripide que ces deux Grecs remportent sur Thespis. Racine sentait bien son extrême supériorité sur Euripide ; mais il louait ce poëte grec pour humilier Perrault.

Molière, dans ses bonnes pièces, est aussi supérieur au pur mais froid Térence, et au farceur Aristophane, qu’au baladin Dancourt.

Il y a donc des genres dans lesquels les modernes sont de beaucoup supérieurs aux anciens, et d’autres en très-petit nombre dans lesquels nous leur sommes inférieurs. C’est à quoi se réduit toute la dispute.

DE QUELQUES COMPARAISONS ENTRE DES OUVRAGES CÉLÈBRES.

La raison et le goût veulent, ce me semble, qu’on distingue dans un ancien, comme dans un moderne, le bon et le mauvais, qui sont très-souvent à côté l’un de l’autre.

On doit sentir avec transport ce vers de Corneille, ce vers tel qu’on n’en trouve pas un seul, ni dans Homère, ni dans Sophocle, ni dans Euripide, qui en approche :

Que vouliez-vous qu’il fit contre trois ? — Qu’il mourût[1].

Et l’on doit avec la même sagacité et la même justice réprouver les vers suivants.

En admirant le sublime tableau de la dernière scène de Rodogune, les contrastes frappants des personnages et la force du coloris, l’homme de goût verra par combien de fautes cette situation terrible est amenée, quelles invraisemblances l’ont préparée, à quel point il a fallu que Rodogune ait démenti son caractère, et par quels chemins raboteux il a fallu passer pour arriver à cette grande et tragique catastrophe.

Ce même juge équitable ne se lassera point de rendre justice à l’artificieuse et fine contexture des tragédies de Racine, les seules peut-être qui aient été bien ourdies d’un bout à l’autre depuis Eschyle jusqu’au grand siècle de Louis XIV. Il sera touché de cette

  1. Horace, III, vi.