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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/263

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ÂNE.

pénitence avec un bonnet d’âne sur la tête, une servante du voisinage aura dit que ce jeune homme a été changé en âne en punition de ses fautes ? Ses voisines l’auront redit à d’autres voisines, et de bouche en bouche ces histoires, accompagnées de mille circonstances, auront fait le tour du monde. Une équivoque aura trompé toute la terre.

Avouons donc encore ici, avec Boileau, que l’équivoque a été la mère de la plupart de nos sottises.

Joignez à cela le pouvoir de la magie, reconnu incontestable chez toutes les nations; et vous ne serez plus étonné de rien[1].

Encore un mot sur les ânes. On dit qu’ils sont guerriers en Mésopotamie, et que Mervan, le vingt et unième calife, fut surnommé l’âne pour sa valeur.

Le patriarche Photius rapporte, dans l’extrait de la vie d’Isidore, qu’Ammonius avait un âne qui se connaissait très-bien en poésie, et qui abandonnait son râtelier pour aller entendre des vers.

La fable de Midas vaut mieux que le conte de Photius.


DE L’ÂNE D’OR DE MACHIAVEL.


On connaît peu l’âne de Machiavel. Les dictionnaires qui en parlent disent que c’est un ouvrage de sa jeunesse ; il paraît pourtant qu’il était dans l’âge mûr, puisqu’il parle des malheurs qu’il a essuyés autrefois et très-longtemps. L’ouvrage est une satire de ses contemporains. L’auteur voit beaucoup de Florentins, dont l’un est changé en chat, l’autre en dragon, celui-ci en chien qui aboie à la lune, cet autre en renard qui ne s’est pas laissé prendre. Chaque caractère est peint sous le nom d’un animal. Les factions des Médicis et de leurs ennemis y sont figurées sans doute, et qui aurait la clef de cette apocalypse comique saurait l’histoire secrète du pape Léon X et des troubles de Florence. Ce poëme est plein de morale et de philosophie. Il finit par de très-bonnes réflexions d’un gros cochon, qui parle à peu près ainsi à l’homme :

Animaux à deux pieds, sans vêtements, sans armes,
Point d’ongle, un mauvais cuir, ni plume, ni toison,
Vous pleurez en naissant, et vous avez raison :
Vous prévoyez vos maux ; ils méritent vos larmes.
  1. Voyez l’article Magie. (Note de Voltaire.)