Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/300

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
280
ANTIQUITÉ.


SECTION IV.


De l’antiquité des fêtes, qu’on prétend
avoir toutes été lugubres.


Des gens ingénieux et profonds, des creuseurs d’antiquités, qui sauraient comment la terre était faite il y a cent mille ans si le génie pouvait le savoir, ont prétendu que les hommes, réduits à un très-petit nombre dans notre continent et dans l’autre, encore effrayés des révolutions innombrables que ce triste globe avait essuyées, perpétuèrent le souvenir de leurs malheurs par des commémorations funestes et lugubres. « Toute fête, disent-ils, fut un jour d’horreur, institué pour faire souvenir les hommes que leurs pères avaient été détruits par les feux échappés des volcans, par des rochers tombés des montagnes, par l’irruption des mers, par les dents et les griffes des bêtes sauvages, par la famine, la peste et les guerres. »

Nous ne sommes donc pas faits comme les hommes l’étaient alors. On ne s’est jamais tant réjoui à Londres qu’après la peste et l’incendie de la ville entière sous Charles II.

Nous fîmes des chansons lorsque les massacres de la Saint-Barthélémy duraient encore. On a conservé des pasquinades faites le lendemain de l’assassinat de Coligny ; on imprima dans Paris : « Passio domini nostri Gaspardi Colignii secundum Bartholomæum. »

Il est arrivé mille fois que le sultan qui règne à Constantinople a fait danser ses châtrés et ses odalisques dans des salons teints du sang de ses frères et de ses vizirs.

Que fait-on dans Paris le jour qu’on apprend la perte d’une bataille, et la mort de cent braves officiers ? on court à l’opéra et à la comédie.

Que faisait-on quand la maréchale d’Ancre était immolée dans la Grève à la barbarie de ses persécuteurs ; quand le maréchal de Marillac était traîné au supplice dans une charrette, en vertu d’un papier signé par des valets en robe dans l’antichambre du cardinal de Richelieu ; quand un lieutenant général des armées[1] un étranger qui avait versé son sang pour l’État, condamné par les cris de ses ennemis acharnés, allait sur l’échafaud dans un tom-

  1. Le comte de Lally. Voyez dans les Mélanges, année 1773, les Fragments sur l’histoire.