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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/402

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AROT ET MAROT, ET ALCORAN.

très-belle femme ayant invité ces deux anges à manger chez elle, elle leur fit boire du vin, dont étant échauffés, ils la sollicitèrent à l’amour ; qu’elle feignit de consentir à leur passion, à condition qu’ils lui apprendraient auparavant les paroles par le moyen desquelles ils disaient que l’on pouvait aisément monter au ciel ; qu’après avoir su d’eux ce qu’elle leur avait demandé, elle ne voulut plus tenir sa promesse, et qu’alors elle fut enlevée au ciel, où, ayant fait à Dieu le récit de ce qui s’était passé, elle fut changée en étoile du matin qu’on appelle Lucifer ou Aurore, et que les deux anges furent sévèrement punis. C’est de là, selon Mahomet, que Dieu prit occasion de défendre l’usage du vin aux hommes. » (Voyez Alcoran.)

On aurait beau lire tout l’Alcoran, on n’y trouvera pas un seul mot de ce conte absurde, et de cette prétendue raison de Mahomet de défendre le vin à ses sectateurs. Mahomet ne proscrit l’usage du vin qu’au second et au cinquième sura, ou chapitre : « Ils t’interrogeront sur le vin et sur les liqueurs fortes ; et tu répondras que c’est un grand péché.

« On ne doit point imputer aux justes qui croient, et qui font de bonnes œuvres, d’avoir bu du vin et d’avoir joué aux jeux de hasard, avant que les jeux de hasard fussent défendus. »

Il est avéré chez tous les mahométans que leur prophète ne défendit le vin et les liqueurs que pour conserver leur santé, et pour prévenir les querelles. Dans le climat brûlant de l’Arabie, l’usage de toute liqueur fermentée porte facilement à la tête, et peut détruire la santé et la raison.

La fable d’Arot et de Marot qui descendirent du ciel, et qui voulurent coucher avec une femme arabe, après avoir bu du vin avec elle, n’est dans aucun auteur mahométan. Elle ne se trouve que parmi les impostures que plusieurs auteurs chrétiens, plus indiscrets qu’éclairés, ont imprimées contre la religion musulmane, par un zèle qui n’est pas selon la science. Les noms d’Arot et de Marot ne sont dans aucun endroit de l’Alcoran. C’est un nommé Sylburgius qui dit, dans un vieux livre que personne ne lit, qu’il anathématise les anges Arot et Marot, Safa et Merwa.

Remarquez, cher lecteur, que Safa et Merwa sont deux petits monticules auprès de la Mecque, et qu’ainsi notre docte Sylburgius a pris deux collines pour deux anges. C’est ainsi qu’en ont usé presque sans exception tous ceux qui ont écrit parmi nous sur le mahométisme, jusqu’au temps où le sage Réland nous a donné des idées nettes de la croyance musulmane, et où le savant Sale, après avoir demeuré vingt-quatre ans vers l’Arabie, nous a