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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/436

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ART DRAMATIQUE.

mérite de cet ouvrage, c’est que de tous les sujets c’était le plus difficile à traiter.

On a imprimé avec quelque fondement que Racine avait imité dans cette pièce plusieurs endroits de la tragédie de la Ligue, faite par le conseiller d’État Matthieu, historiographe de France sous Henri IV, écrivain qui ne faisait pas mal des vers pour son temps. Constance dit dans la tragédie de Matthieu :

Je redoute mon Dieu, c’est lui seul que je crains.

 

On n’est point délaissé quand on a Dieu pour père.
Il ouvre à tous la main, il nourrit les corbeaux ;
Il donne la pâture aux jeunes passereaux,
Aux bêtes des forêts, des prés et des montagnes :
Tout vit de sa bonté[1].

Racine dit :

Je crains Dieu, cher Abner, et n’ai point d’autre crainte.

(Athalie, acte I, scène i.)

Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin ?
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
Et sa bonté s’étend sur toute la nature.

(Acte II, scène vii.)

Le plagiat paraît sensible, et cependant ce n’en est point un : rien n’est plus naturel que d’avoir les mêmes idées sur le même sujet. D’ailleurs Racine et Matthieu ne sont pas les premiers qui aient exprimé des pensées dont on trouve le fond dans plusieurs endroits de l’Écriture.

  1. Voltaire, en citant ces vers de mémoire, selon son usage, a fait des corrections aux premier, deuxième et quatrième ; les voici tels qu’on les lit dans la pièce originale :

    Je ne crains que mon Dieu, lui tout seul je redoute.


     

    Celui n’est délaissé qui a Dieu pour son père.


     

    Il donne la viande, etc.


    La tragédie d’où ils sont tirés est intitulée le Triomphe de la Ligue, imprimée en 1607 ; elle a pour auteur R.-J. Nérée, et non Matthieu, comme le dit Voltaire, qui avait été induit en erreur par Beauchamps. (Recherches sur les théâtres, II, 10.) Matthieu a composé une Guisiade, tragédie dans laquelle on reconnaît un partisan très-zélé de la maison des Guises : le Triomphe de la Ligue est dans un esprit tout opposé. (B.)