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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/442

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ART DRAMATIQUE.

en parurent heureux ; on joua d’abord Pomone, dans laquelle il était beaucoup parlé de pommes et d’artichauts.

On représenta ensuite les Peines et les Plaisirs de l’Amour ; et enfin Lulli, violon de Mademoiselle, devenu surintendant de la musique du roi, s’empara du jeu de paume qui avait ruiné le marquis de Sourdeac. L’abbé Perrin, inruinable, se consola dans Paris à faire des élégies et des sonnets, et même à traduire l’Enéide de Virgile en vers qu’il disait héroïques. Voici comme il traduit, par exemple, ces deux vers du cinquième livre de l’Énéide (v. 480) :

Arduus, effractoque illisit in ossa cerebro,
Sternitur, exanimisque tremens procumbit humi bos.

Dans ses os fracassés enfonce son éteuf,
Et tout tremblant, et mort, en bas tombe le bœuf.

On trouve son nom souvent dans les Satires de Boileau, qui avait grand tort de l’accabler : car il ne faut se moquer ni de ceux qui font du bon, ni de ceux qui font du très-mauvais, mais de ceux qui, étant médiocres, se croient des génies, et font les importants.

Pour Cambert, il quitta la France de dépit, et alla faire exécuter sa détestable musique chez les Anglais, qui la trouvèrent excellente.

Lulli, qu’on appela bientôt monsieur de Lulli, s’associa très-habilement avec Quinault, dont il sentait tout le mérite, et qu’on n’appela jamais monsieur de Quinault. Il donna dans son jeu de paume de Bélair, en 1672, les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, composées par ce poète aimable ; mais ni les vers ni la musique ne furent dignes de la réputation qu’ils acquirent depuis ; les connaisseurs seulement estimèrent beaucoup une traduction de l’ode charmante d’Horace (liv. II, od. ix) :

Donec gralus eram tibi,
Nec quisquam potior brachia candidæ

Cervici juvenis dabat,
Persarum vigui rege beatior

 

Cette ode en effet est très-gracieusement rendue en français[1] ; mais la musique en est un peu languissante.

Il y eut des bouffonneries dans cet opéra, ainsi que dans Cadmus et dans Alceste. Ce mauvais goût régnait alors à la cour

  1. Cette traduction, empruntée à la comédie des Amants magnifiques, est de Molière.