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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/477

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ATHÉE.

naissance d’un Dieu, sa présence, sa justice, n’ont pas la plus légère influence sur les guerres, sur les traités, sur les objets de l’ambition, de l’intérêt, des plaisirs, qui emportent tous leurs moments ; cependant on ne voit point qu’ils blessent grossièrement les règles établies dans la société : il est beaucoup plus agréable de passer sa vie auprès d’eux qu’avec des superstitieux et des fanatiques. J’attendrai, il est vrai, plus de justice de celui qui croira un Dieu que de celui qui n’en croira pas ; mais je n’attendrai qu’amertume et persécution du superstitieux. L’athéisme et le fanatisme sont deux monstres qui peuvent dévorer et déchirer la société ; mais l’athée dans son erreur conserve sa raison, qui lui coupe les griffes, et le fanatique est atteint d’une folie continuelle qui aiguise les siennes[1].

SECTION II.

En Angleterre, comme partout ailleurs, il y a eu et il y a encore beaucoup d’athées par principes : car il n’y a que de jeunes prédicateurs sans expérience, et très-mal informés de ce qui se passe au monde, qui assurent qu’il ne peut y avoir d’athées ; j’en ai connu en France quelques-uns qui étaient de très-bons physiciens, et j’avoue que j’ai été bien surpris que des hommes qui démêlent si bien les ressorts de la nature s’obstinassent à méconnaître la main qui préside si visiblement au jeu de ces ressorts.

Il me paraît qu’un des principes qui les conduisent au matérialisme, c’est qu’ils croient le monde infini et plein, et la matière éternelle : il faut bien que ce soient ces principes qui les égarent, puisque presque tous les newtoniens que j’ai vus, admettant le vide et la matière finie, admettent conséquemment un Dieu.

En effet, si la matière est infinie, comme tant de philosophes, et Descartes même, l’ont prétendu, elle a par elle-même un attribut de l’Être suprême ; si le vide est impossible, la matière existe nécessairement ; si elle existe nécessairement, elle existe de toute éternité : donc dans ces principes on peut se passer d’un Dieu créateur, fabricateur, et conservateur de la matière.

Je sais bien que Descartes, et la plupart des écoles qui ont cru le plein et la matière indéfinie ont cependant admis un

  1. Voyez Religion. (Note de Voltaire.) — Voyez aussi dans les Romans, Histoire de Jenni.