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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/491

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ATHÉISME.

la dispute lui valurent la haine de quelques théologiens ; et ayant eu une querelle avec un nommé Francon, ou Franconi, ce Francon, ami de ses ennemis, ne manqua pas de l’accuser d’être athée enseignant l’athéisme.

Ce Francon ou Franconi, aidé de quelques témoins, eut la barbarie de soutenir à la confrontation ce qu’il avait avancé. Vanini sur la sellette, interrogé sur ce qu’il pensait de l’existence de Dieu, répondit qu’il adorait avec l’Église un Dieu en trois personnes. Ayant pris à terre une paille : « Il suffit de ce fétu, dit-il, pour prouver qu’il y a un créateur. » Alors il prononça un très-beau discours sur la végétation et le mouvement, et sur la nécessité d’un Être suprême, sans lequel il n’y aurait ni mouvement ni végétation.

Le président Grammont, qui était alors à Toulouse, rapporte ce discours dans son Histoire de France[1], aujourd’hui si oubliée ; et ce même Grammont, par un préjugé inconcevable, prétend que Vanini disait tout cela par vanité, ou par crainte, plutôt que par une persuasion intérieure.

Sur quoi peut être fondé ce jugement téméraire et atroce du président Grammont ? Il est évident que sur la réponse de Vanini on devait l’absoudre de l’accusation d’athéisme. Mais qu’arriva-t-il ? ce malheureux prêtre étranger se mêlait aussi de médecine : on trouva un gros crapaud vivant, qu’il conservait chez lui dans un vase plein d’eau ; on ne manqua pas de l’accuser d’être sorcier. On soutint que ce crapaud était le dieu qu’il adorait ; on donna un sens impie à plusieurs passages de ses livres, ce qui est très-aisé et très-commun, en prenant les objections pour les réponses, en interprétant avec malignité quelque phrase louche, en empoisonnant une expression innocente. Enfin la faction qui l’opprimait arracha des juges l’arrêt qui condamna ce malheureux à la mort.

Pour justifier cette mort, il fallait bien accuser cet infortuné de ce qu’il y avait de plus affreux. Le minime et très-minime Mersenne a poussé la démence jusqu’à imprimer que Vanini était parti de Naples avec douze de ses apôtres pour aller convertir toutes les nations à l’athéisme. Quelle pitié ! comment un pauvre prêtre aurait-il pu avoir douze hommes à ses gages ? comment aurait-il pu persuader douze Napolitains de voyager à grands frais pour répandre partout cette doctrine révoltante au péril de

  1. Le passage de Grammont qui concerne Vanini a été traduit en français par La Croze, dans l’ouvrage dont je parle en la note suivante. (B.)