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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome17.djvu/64

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ABRAHAM.

On le voit naître à Ur en Chaldée, aller à Haran, puis en Palestine, en Égypte, en Phénicie, et enfin être obligé d’acheter un sépulcre à Hébron.

Une des plus remarquables circonstances de sa vie, c’est qu’à l’âge de quatre-vingt-dix-neuf ans, n’ayant point encore engendré Isaac, il se fit circoncire, lui et son fils Ismaël, et tous ses serviteurs. Il avait apparemment pris cette idée chez les Égyptiens. Il est difficile de démêler l’origine d’une pareille opération. Ce qui paraît le plus probable, c’est qu’elle fut inventée pour prévenir les abus de la puberté. Mais pourquoi couper son prépuce à cent ans ?

On prétend, d’un autre côté, que les prêtres seuls d’Égypte étaient anciennement distingués par cette coutume. C’était un usage très ancien en Afrique et dans une partie de l’Asie, que les plus saints personnages présentassent leur membre viril à baiser aux femmes qu’ils rencontraient. On portait en procession, en Égypte, le phallum, qui était un gros priape. Les organes de la génération étaient regardés comme quelque chose de noble et de sacré, comme un symbole de la puissance divine ; on jurait par eux, et lorsque l’on faisait un serment à quelqu’un, on mettait la main à ses testicules ; c’est peut-être même de cette ancienne coutume qu’ils tirèrent ensuite leur nom, qui signifie témoins, parce qu’autrefois ils servaient ainsi de témoignage et de gage. Quand Abraham envoya son serviteur demander Rebecca pour son fils Isaac, le serviteur mit la main aux parties génitales d’Abraham, ce qu’on a traduit par le mot cuisse[1].

On voit par là combien les mœurs de cette haute antiquité différaient en tout des nôtres. Il n’est pas plus étonnant aux yeux d’un philosophe qu’on ait juré autrefois par cette partie que par la tête, et il n’est pas étonnant que ceux qui voulaient se distinguer des autres hommes missent un signe à cette partie révérée.

La Genèse[2] dit que la circoncision fut un pacte entre Dieu et Abraham, et elle ajoute expressément qu’on fera mourir quiconque ne sera pas circoncis dans la maison. Cependant on ne dit point qu’Isaac l’ait été, et il n’est plus parlé de circoncision jusqu’au temps de Moïse.

On finira cet article par une autre observation, c’est qu’Abraham ayant eu de Sara et d’Agar deux fils qui furent chacun le père d’une grande nation, il eut six fils de Cethura, qui s’établirent dans l’Arabie ; mais leur postérité n’a point été célèbre.


  1. Genèse, xxiv, 2.
  2. Ibid., xvii, 10-14.