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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/293

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CRIMINEL.

protestants ne tuent point leurs enfants, mais qu’on les laisse maîtres de tous leurs biens, quand ils quittent leur secte pour une autre.

On sait que Calas fut roué, malgré cette attestation.

Un nommé Landes, juge de village, assisté de quelques gradués aussi savants que lui, s’empressa de faire toutes les dispositions pour bien suivre l’exemple qu’on venait de donner dans Toulouse. Un médecin de village, aussi éclairé que les juges, ne manqua pas d’assurer, à l’inspection du corps, au bout de vingt jours, que cette fille avait été étranglée et jetée ensuite dans le puits. Sur cette déposition le juge décrète de prise de corps le père, la mère, et les deux filles.

La famille, justement effrayée par la catastrophe des Calas et par les conseils de ses amis, prend incontinent la fuite ; ils marchent au milieu des neiges pendant un hiver rigoureux, et de montagnes en montagnes ils arrivent jusqu’à celles des Suisses. Celle des deux filles qui était mariée et grosse accouche avant terme parmi les glaces.

La première nouvelle que cette famille apprend quand elle est en lieu de sûreté, c’est que le père et la mère sont condamnés à être pendus ; les deux filles, à demeurer sous la potence pendant l’exécution de leur mère, et à être reconduites par le bourreau hors du territoire, sous peine d’être pendues si elles reviennent. C’est ainsi qu’on instruit la contumace.

Ce jugement était également absurde et abominable. Si le père, de concert avec sa femme, avait étranglé sa fille, il fallait le rouer comme Calas, et brûler la mère, au moins après qu’elle aurait été étranglée, parce que ce n’est pas encore l’usage de rouer les femmes dans le pays de ce juge. Se contenter de pendre en pareille occasion, c’était avouer que le crime n’était pas avéré, et que dans le doute la corde était un parti mitoyen qu’on prenait, faute d’être instruit. Cette sentence blessait également la loi et la raison.

La mère mourut de désespoir, et toute la famille, dont le bien était confisqué, allait mourir de misère si elle n’avait pas trouvé des secours.

On s’arrête ici pour demander s’il y a quelque loi et quelque raison qui puisse justifier une telle sentence ! On peut dire au juge : « Quelle rage vous a porté à condamner à la mort un père et une mère ? — C’est qu’ils se sont enfuis, répond le juge. — Eh, misérable ! voulais-tu qu’ils restassent pour assouvir ton imbécile fureur ? Qu’importe qu’ils paraissent devant toi chargés de fers