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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/65

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CARÊME.

mident le pauvre peuple ; ils vont jusqu’à la violence envers des malheureux qui ne savent pas que c’est à la seule magistrature qu’il appartient de faire la police. C’est une inquisition odieuse et punissable.

Il n’y a que les magistrats qui puissent être informés au juste des denrées plus ou moins abondantes qui peuvent nourrir le pauvre peuple des provinces. Le clergé a des occupations plus sublimes. Ne serait-ce donc pas aux magistrats qu’il appartiendrait de régler ce que le peuple peut manger en carême ? Qui aura l’inspection sur le comestible d’un pays, sinon la police du pays ?


SECTION II.


Les premiers qui s’avisèrent de jeûner se mirent-ils à ce régime par ordonnance du médecin pour avoir eu des indigestions ?

Le défaut d’appétit qu’on se sent dans la tristesse fut-il la première origine des jours de jeune prescrits dans les religions tristes ?

Les Juifs prirent-ils la coutume de jeûner des Égyptiens, dont ils imitèrent tous les rites, jusqu’à la flagellation et au bouc émissaire ?

Pourquoi Jésus jeûna-t-il quarante jours dans le désert où il fut emporté par le diable, par le Knathbull ? Saint Matthieu remarque qu’après ce carême il eut faim ; il n’avait donc pas faim dans ce carême ?

Pourquoi dans les jours d’abstinence l’Église romaine regarde-t-elle comme un crime de manger des animaux terrestres, et comme une bonne œuvre de se faire servir des soles et des saumons ? Le riche papiste qui aura eu sur sa table pour cinq cents francs de poisson sera sauvé ; et le pauvre, mourant de faim, qui aura mangé pour quatre sous de petit salé, sera damné !

Pourquoi faut-il demander permission à son évêque de manger des œufs ? Si un roi ordonnait à son peuple de ne jamais manger d’œufs, ne passerait-il pas pour le plus ridicule des tyrans ? Quelle étrange aversion les évêques ont-ils pour les omelettes ?

Croirait-on que chez les papistes il y ait eu des tribunaux assez imbéciles, assez lâches, assez barbares, pour condamner à la mort de pauvres citoyens qui n’avaient d’autres crimes que d’avoir mangé du cheval en carême ? Le fait n’est que trop vrai[1] : j’ai

  1. Voyez dans les Mélanges, année 1766, le paragraphe xiii du Commentaire sur le livre Des Délits et des Peines, et année 1769, la Requête à tous les magistrats du royaume.