Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/97

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
87
CATÉCHISME DU JARDINIER.

il a fallu renoncer au tou viou et à la crème. Vous avez enfin chassé les Grecs, je vous entends crier Alla illa Alla de toutes vos forces. Je ne sais plus trop ce que je suis ; j’aime Dieu de tout mon cœur, et je vends mes légumes fort raisonnablement.

TUCTAN.

Tu as là de très-belles figues.

KARPOS.

Mon bacha, elles sont fort à votre service.

TUCTAN.

On dit que tu as aussi une jolie fille.

KARPOS.

Oui, mon bacha ; mais elle n’est pas à votre service.

TUCTAN.

Pourquoi cela, misérable ?

KARPOS.

C’est que je suis un honnête homme : il m’est permis de vendre mes figues, mais non pas de vendre ma fille.

TUCTAN.

Et par quelle loi ne t’est-il pas permis de vendre ce fruit-là ?

KARPOS.

Par la loi de tous les honnêtes jardiniers ; l’honneur de ma fille n’est point à moi, il est à elle : ce n’est pas une marchandise.

TUCTAN.

Tu n’es donc pas fidèle à ton bacha ?

KARPOS.

Très-fidèle dans les choses justes, tant que vous serez mon maître.

TUCTAN.

Mais si ton papa grec faisait une conspiration contre moi, et s’il t’ordonnait de la part du tou patrou et du tou viou d’entrer dans son complot, n’aurais-tu pas la dévotion d’en être ?

KARPOS.

Moi ? point du tout, je m’en donnerais bien de garde.

TUCTAN.

Et pourquoi refuserais-tu d’obéir à ton papa grec dans une occasion si belle ?

KARPOS.

C’est que je vous ai fait serment d’obéissance, et que je sais bien que le tou patrou n’ordonne point les conspirations.

TUCTAN.

J’en suis bien aise ; mais si par malheur tes Grecs reprenaient l’île et me chassaient, me serais-tu fidèle ?