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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/235

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PLATON.

ville d’Athènes, qui était fidèlement conservée depuis neuf mille ans dans les archives de l’Égypte.

Athènes, dit le prêtre, était alors la plus belle ville de la Grèce, et la plus renommée dans le monde pour les arts de la guerre et de la paix ; elle résista seule aux guerriers de cette fameuse île Atlantide, qui vinrent sur des vaisseaux innombrables subjuguer une grande partie de l’Europe et de l’Asie. Athènes eut la gloire d’affranchir tant de peuples vaincus, et de préserver l’Égypte de la servitude qui nous menaçait ; mais après cette illustre victoire et ce service rendu au genre humain, un tremblement de terre épouvantable engloutit en vingt-quatre heures et le territoire d’Athènes et toute la grande île Atlantide. Cette île n’est aujourd’hui qu’une vaste mer que les débris de cet ancien monde et le limon mêlé à ses eaux rendent innavigable.

Voilà ce que ce prêtre conte à Solon ; voilà comment Platon débute pour nous expliquer ensuite la formation de l’âme, les opérations du verbe, et sa trinité. Il n’est pas physiquement impossible qu’il y eût eu une île Atlantide qui n’existait plus depuis neuf mille ans, et qui périt par un tremblement de terre, comme il est arrivé à Herculanum et à tant d’autres villes ; mais notre prêtre, en ajoutant que la mer qui baigne le mont Atlas est inaccessible aux vaisseaux, rend l’histoire un peu suspecte.

Il se peut faire, après tout, que depuis Solon, c’est-à-dire depuis trois mille ans, les flots aient nettoyé le limon de l’ancienne île Atlantide, et rendu la mer navigable ; mais enfin il est toujours surprenant qu’on débute par cette île pour parler du verbe.

Peut-être, en faisant ce conte de prêtre ou de vieille, Platon n’a-t-il voulu insinuer autre chose que les vicissitudes qui ont changé tant de fois la face du globe. Peut-être a-t-il voulu dire seulement ce que Pythagore et Timée de Locres avaient dit si longtemps avant lui, et ce que nos yeux nous disent tous les jours, que tout périt et se renouvelle dans la nature. L’histoire de Deucalion et de Pyrrha, la chute de Phaéton, sont des fables ; mais des inondations et des embrasements sont des vérités.

Platon part de son île imaginaire pour dire des choses que les meilleurs philosophes de nos jours ne désavoueraient pas : « Ce qui est produit a nécessairement une cause, un auteur. Il est difficile de trouver l’auteur de ce monde ; et quand on l’a trouvé, il est dangereux de le dire au peuple. »

Rien n’est plus vrai encore aujourd’hui. Qu’un sage, en passant par Notre-Dame de Lorette, s’avise de dire à un sage son