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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/588

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VIE.

Qu’est-ce que cette capacité de sensation ? Autrefois vie et âme c’était même chose, et l’une n’est pas plus connue que l’autre ; le fond en est-il mieux connu aujourd’hui ?

Dans les livres sacrés juifs, âme est toujours employée pour vie.

«[1]Dixit etiam Deus, producant aquæ reptile animæ viventis. — Et Dieu dit, que les eaux produisent des reptiles d’âme vivante. »

« Creavit Deus cete grandia et omnem animam viventem atque motabilem quam produxerunt aquæ. — Il créa aussi de grands dragons (tannitim), tout animal ayant vie et mouvement, que les eaux avaient produits. »

Il est difficile d’expliquer comment Dieu créa ces dragons produits par les eaux ; mais la chose est ainsi, et c’est à nous de nous soumettre.

«[2]Producat terra animam viventem in genere suo, jumenta et reptilia. — Que la terre produise âme vivante en son genre, des behemoths et des reptiles. »

«[3]Et in quibus est anima vivens, ad vescendum. — Et à toute âme vivante pour se nourrir. »

«[4]Et inspiravit in faciem ejus spiraculum vitæ, et factus est homo in animam viventem. — Et il souffla dans ses narines souffle de vie, et l’homme eut souffle de vie (selon l’hébreu). »

« Sanguinem enim animarum vestrarum requiram de manu cunctarum bestiarum, et de manu hominis, etc.[5] — Je redemanderai vos âmes aux mains des bêtes et des hommes. » Âmes signifie ici vies évidemment. Le texte sacré ne peut entendre que les bêtes auront avalé l’âme des hommes, mais leur sang, qui est leur vie. Quant aux mains que ce texte donne aux bêtes, il entend leurs griffes.

En un mot, il y a plus de deux cents passages où l’âme est prise pour la vie des bêtes ou des hommes ; mais il n’en est aucun qui vous dise ce que c’est que la vie et l’âme.

Si c’est la l’acuité de la sensation, d’où vient cette faculté ? À cette question tous les docteurs répondent par des systèmes, et ces systèmes sont détruits les uns par les autres. Mais pourquoi voulez-vous savoir d’où vient la sensation ? Il est aussi difficile de concevoir la cause qui fait tendre tous les corps à leur commun centre, que de concevoir la cause qui rend l’animal sensible. La direction de l’aimant vers le pôle arctique, les routes des comètes, mille autres phénomènes, sont aussi incompréhensibles.

  1. Genèse, chapitre i, v. 20. (Note de Voltaire.)
  2. Genèse, chapitre i, v. 24. (Id.)
  3. Chapitre i, v. 30. (Note de Voltaire.)
  4. Chapitre ii, v. 7. (Id.)
  5. Genèse, chapitre ix, v. 5. (Id.)