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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/104

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« Nous portons aussi un habit un peu différent des autres hommes, afin que ce soit pour nous un avertissement continuel de ne leur pas ressembler. Les autres portent les marques de leurs dignités, et nous celles de l’humilité chrétienne ; nous fuyons les assemblées de plaisir, les spectacles, le jeu, car nous serions bien à plaindre de remplir de ces bagatelles des cœurs en qui Dieu doit habiter : nous ne faisons jamais de serments, pas même en justice ; nous pensons que le nom du Très-Haut ne doit pas[1] être prostitué dans les débats misérables des hommes. Lorsqu’il faut que nous comparaissions devant les magistrats pour les affaires des autres (car nous n’avons jamais de procès), nous affirmons la vérité par un oui ou par un non, et les juges nous en croient sur notre simple parole, tandis que tant d’autres chrétiens se parjurent sur l’Évangile. Nous n’allons jamais à la guerre : ce n’est pas que nous craignions la mort : au contraire, nous bénissons le moment qui nous unit à l’Être des êtres ; mais c’est que nous ne sommes ni loups, ni tigres, ni dogues, mais hommes, mais chrétiens. Notre dieu, qui nous a ordonné d’aimer nos ennemis et de souffrir sans murmure, ne veut pas sans doute que nous passions la mer pour aller égorger nos frères, parce que des meurtriers vêtus de rouge, coiffés d’un bonnet haut de deux pieds, enrôlent des citoyens en faisant du bruit avec deux petits bâtons sur une peau d’âne bien tendue. Et lorsque, après des batailles gagnées, tout Londres brille d’illuminations, que le ciel est enflammé de fusées, que l’air retentit du bruit des actions de grâces, des cloches, des orgues, des canons, nous gémissons en silence sur ces meurtres qui causent la publique allégresse. »

LETTRE II[2].

sur les quakers.

Telle fut à peu près la conversation que j’eus avec cet homme singulier ; mais je fus bien plus surpris quand, le dimanche suivant, il me mena à l’église des quakers. Ils ont plusieurs chapelles à Londres ; celle où j’allai est près de ce fameux pilier[3] qu’on appelle le Monument. On était déjà assemblé lorsque j’entrai avec mon conducteur. Il y avait environ quatre cents hommes dans

  1. 1734. « Point. »
  2. Voyez, la note 1 de la page 82.
  3. 1734. « Qui, selon eux, est »