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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/149

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SUR DESCARTES ET NEWTON

de l’expliquer, et qu’il n’y avait guère en Hollande que Schooten, et en France que Fermat, qui l’entendissent.

Il porta cet esprit de géométrie et d’invention dans la dioptrique, qui devint entre ses mains un art tout nouveau ; et s’il s’y trompa beaucoup, c’est qu’un homme qui découvre de nouvelles terres ne peut tout d’un coup en connaître toutes les propriétés. Ceux[1] qui le suivent lui ont au moins l’obligation de la découverte. Je ne nierai pas que tous les autres ouvrages de M. Descartes[2] ne fourmillent d’erreurs.

La géométrie était un guide que lui-même avait en quelque façon formé, et qui l’aurait conduit sûrement dans sa physique ; cependant il abandonna à la fin ce guide, et se livra à l’esprit de système. Alors sa philosophie ne fut plus qu’un roman ingénieux, et tout au plus vraisemblable[3] pour les philosophes ignorants du même temps. Il se trompa sur la nature de l’âme, sur les lois du mouvement, sur la nature de la lumière. Il admit des idées innées, il inventa de nouveaux éléments, il créa un monde, il fit l’homme à sa mode ; et on dit avec raison que l’homme de Descartes n’est en effet que celui de Descartes, fort éloigné de l’homme véritable. Il poussa ses erreurs métaphysiques jusqu’à prétendre que deux et deux ne font quatre que parce que Dieu l’a voulu ainsi ; mais ce n’est point trop dire qu’il était estimable même dans ses égarements. Il se[4] trompa, mais ce fut au moins avec méthode et de conséquence en conséquence. S’il inventa de nouvelles chimères en physique, du moins il en détruisit d’anciennes : il apprit aux hommes de son temps à raisonner et à se servir contre lui-même de ses armes. S’il n’a pas payé en bonne monnaie, c’est beaucoup d’avoir décrié la fausse.

[5]Je ne crois pas qu’on ose à la vérité comparer en rien sa philosophie avec celle de Newton : la première est un essai, la seconde est un chef-d’œuvre ; mais celui qui nous a mis sur la voie de la vérité vaut peut-être celui qui a été depuis au bout de cette carrière.

  1. 1734. « Ceux qui viennent après lui et qui rendent les terres fertiles lui ont. »
  2. 1734. « De M. Descartes fourmillent d’erreurs. »
  3. 1734. « Vraisemblable pour les ignorants. Il se trompa sur la nature de l’âme, sur les preuves de l’existence de Dieu, sur la matière, sur les lois, etc. »
  4. 1734. « Il se trompa, mais ce fut du moins avec méthode et avec un esprit conséquent ; il détruisit les chimères absurdes dont on infatuait la jeunesse depuis deux mille ans ; il apprit. »
  5. Cet alinéa n’avait pas été conservé dans l’édition de Kehl. Il était supprimé dès 1748.