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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/185

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SUR LE COMTE DE ROCHESTER ET M. WALLER.

n’étaient pas encore parvenus de son temps à écrire avec correction. Ses ouvrages sérieux sont pleins d’une vigueur qu’on n’attendrait pas de la mollesse de ses autres pièces. Il a fait un éloge funèbre de Cromwell, qui, avec ses défauts, passe pour un chef-d’œuvre. Pour entendre cet ouvrage, il faut savoir que Cromwell mourut le jour d’une tempête extraordinaire.

La pièce commence ainsi :

Il n’est plus ; c’en est fait ; soumettons-nous au sort :
Le ciel a signalé ce jour par des tempêtes,
Et la voix du tonnerre, éclatant sur nos têtes,
                    Vient d’annoncer sa mort.
Par ses derniers soupirs il ébranle cette île,
Cette île que son bras fit trembler tant de fois,
                    Quand, dans le cours de ses exploits,
                    Il brisait la tête des rois
Et soumettait un peuple à son joug seul docile.
Mer, tu t’en es troublée. Ô mer ! tes flots émus
Semblent dire en grondant aux plus lointains rivages
Que l’effroi de la terre, et ton maître, n’est plus.
Tel au Ciel autrefois s’envola Romulus,
Tel il quitta la terre au milieu des orages,
Tel d’un peuple guerrier il reçut les hommages :
Obéi dans sa vie, à sa mort adoré,
Son palais fut un temple, etc.

C’est à propos de cet éloge de Cromwell que Waller fit au roi Charles second cette réponse, qu’on trouve dans le dictionnaire de Bayle. Le Roi, pour qui Waller venait, selon l’usage des rois et des poëtes, de présenter une pièce farcie de louanges, lui reprocha qu’il avait fait mieux pour Cromwell. Waller : « Sire, nous autres poëtes, nous réussissons mieux dans les fictions que dans les vérités. » Cette réponse n’était pas si sincère que celle de l’ambassadeur hollandais, qui, lorsque le même roi se plaignait que l’on avait moins d’égards pour lui que pour Cromwell, répondit : « Ah ! Sire, ce Cromwell était tout autre chose[1]. » Il y a des courtisans, même en Angleterre, et Waller l'était ; mais je ne considère les gens après leur mort que par leurs ouvrages ; tout le reste est anéanti pour moi. Je remarque seulement que Waller, né à la cour, avec soixante mille livres de rente, n’eut

  1. 1734. « Tout autre chose. Mon but n'est pas de faire un commentaire sur le caractère de Waller ni de personne : je ne considère. »