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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/195

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SUR M. POPE, ETC.

Sur un lit plein de fleurs négligemment penchée,
Une jeune beauté non loin d’elle est couchée :
C’est l’Affectation, qui grasseye en parlant,
Écoute sans entendre, et lorgne en regardant,
Qui rougit sans pudeur, et rit de tout sans joie,
De cent maux différents prétend qu’elle est la proie,
Et, pleine de santé sous le rouge et le fard,
Se plaint avec mollesse, et se pâme avec art.


Si vous lisiez ce morceau dans l’original, au lieu de le lire dans cette faible traduction, vous le compareriez à la description de la Mollesse dans le Lutrin[1].

L’Essai sur l’Homme de Pope me paraît le plus beau poëme didactique, le plus utile, le plus sublime qu’on ait jamais fait dans aucune langue. Il est vrai que le fond s’en trouve tout entier dans les Caractéristiques du lord Shaftesbury ; et je ne sais pourquoi M. Pope en fait uniquement honneur à M. de

  1. Dans les éditions de 1734, la xxiie lettre se terminait ainsi :
    « … dans le Lutrin.
    « En voilà bien honnêtement pour les poètes anglais. Je vous ai touché un petit mot de leurs philosophes ; pour de bons historiens, je ne leur en connais pas encore. Il a fallu qu’un Français ait écrit leur histoire. Peut-être le génie anglais, qui est ou froid ou impétueux, n’a pas encore saisi cette éloquence naïve et cet air noble et simple de l’histoire. Peut-être aussi l’esprit de parti, qui fait voir trouble, a décrédité tous leurs historiens. La moitié de la nation est toujours l’ennemie de l’autre. J’ai trouvé des gens qui m’ont assuré que milord Marlborough était un poltron, et que M. Pope était un sot ; comme en France quelques jésuites trouvent Pascal un petit esprit, et quelques jansénistes disent que le P. Bourdaloue n’était qu’un bavard.
    « Marie Stuart est une sainte héroïne pour les jacobites ; pour les autres, c’est une débauchée, une adultère, une homicide ; ainsi, en Angleterre, on a des factums et point d’histoire. Il est vrai qu’il y a à présent un M. Gordon, excellent traducteur de Tacite, très-capable d’écrire l’histoire de son pays. Mais M. Rapin de Thoiras l’a prévenu. Enfin il me paraît que les Anglais n’ont point de si bons historiens que nous, qu’ils n’ont point de véritables tragédies, qu’ils ont des comédies charmantes, des morceaux de poésie admirables, et des philosophes qui devraient être les précepteurs du genre humain.
    « Les Anglais ont beaucoup profité des ouvrages de notre langue ; nous devrions, à notre tour, emprunter d’eux, après leur avoir prêté : nous ne sommes venus, les Anglais et nous, qu’après les Italiens, qui en tout ont été nos maîtres, et que nous avons surpassés en quelques choses. Je ne sais à laquelle des trois nations il faudra donner la préférence ; mais heureux celui qui sait sentir leurs différents mérites ! »
    En 1739, l’auteur ajouta ces mots : « Et qui n’a pas la sottise de n’aimer que ce qui vient de son pays. »
    Ce fut en 1756 que ce long morceau fut remplacé par ce qu’on lit aujourd’hui.
    Lorsque Voltaire écrivait, en 1720, Hume n’avait pas encore paru, et n’avait encore que quinze ans. Locke et Newton sont les philosophes que Voltaire désigne comme devant être les précepteurs du genre humain.