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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/235

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SI L’HOMME EST LIBRE.

riférants sont plus ou moins loin de moi. Il n’y a en cela aucune erreur ; mais si je n’avais point de volonté, croyant en avoir une, Dieu m’aurait créé exprès pour me tromper, de même que s’il me faisait croire qu’il y a des corps hors de moi, quoiqu’il n’y en eût pas ; et il ne résulterait rien de cette tromperie, sinon une absurdité dans la manière d’agir d’un Être suprême infiniment sage.

Et qu’on ne dise pas qu’il est indigne d’un philosophe de recourir ici à Dieu. Car, premièrement, ce Dieu étant prouvé, il est démontré que c’est lui qui est la cause de ma liberté en cas que je sois libre, et qu’il est l’auteur absurde de mon erreur si, m’ayant fait un être purement patient sans volonté, il me fait accroire que je suis agent et que je suis libre.

Secondement, s’il n’y avait point de Dieu, qui est-ce qui m’aurait jeté dans l’erreur ? qui m’aurait donné ce sentiment de liberté en me mettant dans l’esclavage ? serait-ce une matière qui d’elle-même ne peut avoir l’intelligence ? Je ne puis être instruit ni trompé par la matière, ni recevoir d’elle la faculté de vouloir ; je ne puis avoir reçu de Dieu le sentiment de ma volonté sans en avoir une : donc j’ai réellement une volonté ; donc je suis un agent.

Vouloir et agir, c’est précisément la même chose qu’être libre. Dieu lui-même ne peut être libre que dans ce sens. Il a voulu et il a agi selon sa volonté. Si on supposait sa volonté déterminée nécessairement ; si on disait : Il a été nécessité à vouloir ce qu’il a fait, on tomberait dans une aussi grande absurdité que si on disait : Il y a un Dieu, et il n’y a point de Dieu ; car si Dieu était nécessité, il ne serait plus agent, il serait patient, et il ne serait plus Dieu.

Il ne faut jamais perdre de vue ces vérités fondamentales enchaînées les unes aux autres. Il y a quelque chose qui existe, donc quelque être est de toute éternité, donc cet être existe par lui-même d’une nécessité absolue, donc il est infini, donc tous les autres êtres viennent de lui sans qu’on sache comment, donc il a pu leur communiquer la liberté comme il leur a communiqué le mouvement et la vie, donc il nous a donné cette liberté que nous sentons en nous, comme il nous a donné la vie que nous sentons en nous.

La liberté dans Dieu est le pouvoir de penser toujours tout ce qu’il veut, et d’opérer toujours tout ce qu’il veut.

La liberté donnée de Dieu à l’homme est le pouvoir faible, limité et passager, de s’appliquer à quelques pensées, et d’opérer certains mouvements. La liberté des enfants qui ne réfléchissent