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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/280

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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

nom ne soit grec. Donnez-moi deux jeunes gens, dont l’un saura cette langue et dont l’autre l’ignorera ; que ni l’un ni l’autre n’ait la moindre teinture d’anatomie ; qu’ils entendent dire qu’un homme est malade d’un diabetès[1], qu’il faut faire à celui-ci une paracentèse, que cet autre a une ankilose ou un bubonocèle : celui qui sait le grec entendra tout d’un coup de quoi il s’agit, parce qu’il voit de quoi ces mots sont composés ; l’autre ne comprendra absolument rien.

Plusieurs mauvais journalistes ont osé donner la préférence à l’Iliade de Lamotte sur l’Iliade d’Homère. Certainement, s’ils avaient lu Homère en sa langue, ils eussent vu que la traduction[2] est autant au-dessous de l’original que Segrais est au-dessous de Virgile.

Un journaliste versé dans la langue grecque pourra-t-il s’empêcher de remarquer, dans les traductions que Tourreil a faites de Démosthène, quelques faiblesses au milieu de ses beautés ? « Si quelqu’un, dit le traducteur, vous demande : Messieurs les Athéniens, avez-vous la paix ? — Non, de par Jupiter, répondez-vous ; nous avons la guerre avec Philippe. » Le lecteur, sur cet exposé, pourrait croire que Démosthène plaisante à contre-temps ; que ces termes familiers et réservés pour le bas comique, messieurs les Athéniens, de par Jupiter, répondent à de pareilles expressions grecques. Il n’en est pourtant rien, et cette faute appartient tout entière au traducteur. Ce sont mille petites inadvertances pareilles qu’un journaliste éclairé peut faire observer, pourvu qu’en même temps il remarque encore plus les beautés.

Il serait à souhaiter que les savants dans les langues orientales nous eussent donné des journaux des livres de l’Orient. Le public ne serait pas dans la profonde ignorance où il est de l’histoire de la plus grande partie de notre globe ; nous nous accoutumerions à réformer notre chronologie sur celle des Chinois ; nous serions plus instruits de la religion de Zoroastre, dont les sectateurs subsistent encore, quoique sans patrie, à peu près comme les Juifs et quelques autres sociétés superstitieuses répandues de temps immémorial dans l’Asie. On connaîtrait les restes de l’ancienne philosophie indienne ; on ne donnerait plus le nom fastueux d’Histoire universelle à des recueils de quelques fables d’Égypte, des révolutions d’un pays grand comme la Cham-

  1. Le Mercure porte seulement : « Malade d’une péripneumonie ; celui qui sait le grec, etc. »
  2. Le Mercure porte : « La traduction est plus au-dessous de l’original que Segrais n’est-au-dessous de Virgile. »