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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/283

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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

Cette manie a infecté plusieurs écrits d’ailleurs raisonnables. Il y a en cela plus de paresse encore que d’affectation : car ces expressions plaisantes qui ne signifient rien et que tout le monde répète sans penser, ces lieux communs sont plus aisés à trouver qu’une expression énergique et élégante. Ce n’est point avec la familiarité du style épistolaire, c’est avec la dignité du style de Cicéron qu’on doit traiter la philosophie. Malebranche, moins pur que Cicéron, mais plus fort et plus rempli d’images, me paraît un grand modèle dans ce genre ; et plût à Dieu qu’il eût établi des vérités aussi solidement qu’il a exposé ses opinions avec éloquence !

Locke, moins élevé que Malebranche, peut-être trop diffus, mais plus élégant, s’exprime toujours dans sa langue avec netteté et avec grâce. Son style est charmant, puroque simillimus amni[1]. Vous ne trouvez dans ces auteurs aucune envie de briller à contretemps, aucune pointe, aucun artifice. Ne les suivez point servilement, o imitatores, servum pecus[2] ! mais, à leur exemple, remplissez-vous d’idées profondes et justes. Alors les mots viennent aisément, rem verba sequentur[3]. Remarquez que les hommes qui ont le mieux pensé sont aussi ceux qui ont le mieux écrit.

Si la langue française doit bientôt se corrompre, cette altération viendra de deux sources : l’une est le style affecté des auteurs qui vivent en France ; l’autre est la négligence des écrivains qui résident dans les pays étrangers. Les papiers publics et les journaux sont infectés continuellement d’expressions impropres auxquelles le public s’accoutume à force de les relire.

Par exemple, rien n’est plus commun dans les gazettes que cette phrase : Nous apprenons que les assiégeants auraient un tel jour battu en brèche ; on dit que les deux armées se seraient approchées ; au lieu de : les deux armées se sont approchées, les assiégeants ont battu en brèche, etc.

Cette construction très-vicieuse est imitée du style[4] barbare qu’on a malheureusement conservé dans le barreau et dans quelques édits. On fait, dans ces pièces, parler au roi un langage gothique. Il dit : On nous aurait remontré, au lieu de : on nous a remontré ; Lettres royaux, au lieu de Lettres royales ; Voulons et nous plaît, au lieu de toute autre phrase plus méthodique et plus grammaticale. Ce style gothique des édits et des lois est comme

  1. Horace, liv. II, épitre ii, vers 120.
  2. Id., livre Ier, épitre xix, vers 19.
  3. Id., Art poét., vers 311.
  4. Il y a dans le Mercure : « Du style qu’on a, etc. »