Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/332

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
314
ESSAI SUR LA NATURE DU FEU

On pourrait mettre pour neuvième loi qu’il doit y avoir des variations dans la plupart des lois précédentes.

Ces variations viennent de ce que les pores et la tissure d’un corps, quelque homogène qu’il soit, ne sont jamais également distribués et disposés. Concevez un corps divisé en cent lamines, et ayant mille pores, les cent lamines ne sont pas toutes de la même épaisseur, et les pores de ces lamines ne se croisent pas de la même façon ; c’est cet arrangement inégal des pores et cette épaisseur différente des feuilles qui sont cause que certains rayons sont réfléchis, et certains autres transmis ; qu’une feuille d’or transmet des rayons bleus tirant sur le vert, et réfléchit les autres couleurs ; que la quatrième partie d’un millionième de pouce donne du blanc entre deux verres, l’un plat et l’autre convexe, se touchant en un point, etc.

Or, cette variation de tissure, qui détermine les différentes actions du feu en tant qu’il éclaire, ne doit-elle pas aussi déterminer les différentes actions du feu en tant qu’il échauffe et qu’il brûle ?

C’est donc de la combinaison de toutes ces lois dont on vient de parler que naît la proportion dans laquelle le feu pénètre les corps : il n’agit point en raison réciproque des pesanteurs ni des cohérences, ni en raison composée de ces deux : car, par exemple, la cohésion dans le fer est environ 15 fois plus grande que dans le plomb (comme il est prouvé par les poids égaux suspendus à des barres de plomb et de fer de pareil volume), la pesanteur spécifique du plomb est à celle du fer comme 11 est à 7 ; cependant le plomb acquiert en temps égal, à feu égal, à peu près le double de chaleur du fer, ce qui n’a aucun rapport ni à leurs pesanteurs ni à leurs cohérences.

La raison dans laquelle le feu agit est non-seulement composée de ces deux raisons de pesanteur et de cohésion, mais de tous les rapports ci-dessus mentionnés[1].

Il n’est guère possible que nos lumières et nos organes, aussi bornés qu’ils le sont, puissent jamais parvenir à nous faire connaître cette proportion, qui résulte de tant de rapports imperceptibles ; nous en saurons toujours assez pour notre usage, et trop peu pour notre curiosité.

L’expérience seule peut nous apprendre en quel rapport le feu détruit les divers corps fluides, minéraux, végétaux, animaux.

  1. Ceci est une manière de dire que la raison dans laquelle le feu agit est dépendante de la nature des corps. Voltaire ne pouvait guère s’exprimer autrement, puisqu’il ne connaissait pas la diversité de capacité calorifique des corps. (D.)