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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/354

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VIE DE M. J.-B. ROUSSEAU.

soixante et douze, que les curieux conservent dans leurs portefeuilles. Les intéressés ne manquèrent pas de le payer de la même monnaie. C’était une guerre d’esprit, et le public riait aux dépens des combattants ; M. de La Faye le cadet fit, entre autres, cette épigramme estimée :

Un aspirant récitait au Parnasse,
Riant d’orgueil, satires et dizains ;
Illec partant le fiel à pleines mains
Était versé, non quelquefois sans grâce ;
Mais aussitôt, reconnaissant son bien,
Maître Clément[1] à tous le vol exhibe ;
Maître François[2] redemande le sien,
Voire Melin[3] reconnut mainte bribe.
Chacun reprit tous les larcins du scribe,
Si qu’en son propre il ne lui resta rien,
Que sa malice et son fade maintien.

Rousseau, ayant besoin d’un protecteur contre tant d’ennemis, en trouva un très-vif dans M. le duc de Noailles, qui le produisit à la cour. M. de Chamillard lui fit donner un emploi de directeur d’une affaire dans les sous-fermes. Il eut le plaisir de voir jouer une de ses comédies par les principaux seigneurs, et même par les princes du sang, devant Mme la duchesse de Bourgogne : cette pièce est la Ceinture magique[4] ; elle n’est pas au-dessus de celle du Café. Si l’auteur n’avait fait que des pièces de théâtre, il serait inconnu aujourd’hui, et probablement eût été plus heureux.

Mais alors une vive émulation contre M. de Lamotte lui fit composer des vers, soit profanes, soit sacrés, parmi lesquels il y en a de très-beaux. Il fit l’Épître aux Muses et celle à Marot, où, parmi des traits forcés et des choses trop allongées, on trouve des morceaux charmants : heureux si ces ouvrages n’étaient pas infectés d’un fiel qui révolte les lecteurs sages ! Il fit des épigrammes excellentes dans leur genre ; telle est, entre autres, celle contre les jésuites :

Un mandarin de la société
À des Chinois prêchait le culte nôtre.

  1. Clément Marot.
  2. François Rabelais.
  3. Melin de Saint-Gelais.
  4. La Ceinture magique fut jouée à l’hôtel de Conti, à Versailles, pendant le carnaval de 1701.