Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
409
ESPACE ET DURÉE.

que c’est une chose très-réelle : car si la durée n’était qu’un ordre de succession entre les créatures, il s’ensuivrait que ce qui se faisait aujourd’hui, et ce qui se fit il y a des milliers d’années, seraient en eux-mêmes faits dans le même instant, ce qui est encore contradictoire.

Enfin, l’espace et la durée sont des quantités : c’est donc quelque chose de très-positif.

Il est bon de faire attention à cet ancien argument, auquel on n’a jamais répondu. Qu’un homme aux bornes de l’univers étende son bras, ce bras doit être dans l’espace pur : car il n’est pas dans le rien ; et si l’on répond qu’il est encore dans la matière, le monde, en ce cas, est donc infini, le monde est donc Dieu.

L’espace pur, le vide existe donc, aussi bien que la matière, et il existe même nécessairement, au lieu que la matière n’existe que par la libre volonté du Créateur.

Mais, dira-t-on, vous admettez un espace immense infini ; pourquoi n’en ferez-vous pas autant de la matière ? Voici la différence. L’espace existe nécessairement, parce que Dieu existe nécessairement ; il est immense, il est, comme la durée, un mode, une propriété infinie d’un être nécessaire infini. La matière n’est rien de tout cela : elle n’existe point nécessairement ; et si cette substance était infinie, elle serait, ou une propriété essentielle de Dieu, ou Dieu même ; or elle n’est ni l’un ni l’autre : elle n’est donc pas infinie, et ne saurait l’être.

J’insérerai ici une remarque qui me paraît mériter quelque attention.

Descartes admettait un Dieu créateur, et cause de tout ; mais il niait la possibilité du vide. Épicure niait un Dieu créateur, et cause de tout, et il admettait le vide ; or c’était Descartes qui par ses principes devait nier un Dieu créateur, et c’était Épicure qui devait l’admettre. En voici la preuve évidente.

Si le vide était impossible, si la matière était infinie, si l’étendue et la matière étaient la même chose, il faudrait que la matière fût nécessaire ; or si la matière était nécessaire, elle existerait par elle-même d’une nécessité absolue, inhérente dans sa nature, primordiale, antécédente à tout : donc elle serait Dieu, donc celui qui admet l’impossibilité du vide doit, s’il raisonne conséquemment, ne point admettre d’autre Dieu que la matière.

Au contraire, s’il y a du vide, la matière n’est donc point un être nécessaire, existant par lui-même, etc. : car qui n’est pas en tout lieu ne peut exister nécessairement en aucun lieu. Donc la matière est un être non nécessaire, donc elle a été créée, donc