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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/442

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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE VI.

toute pensée et de toute matière, et en disant modestement : Celui qui peut tout ne peut-il pas faire penser un être matériel, un atome, un élément de la matière ? Il s’en est tenu à cette possibilité en homme sage : affirmer que la matière pense en effet, parce que Dieu a pu lui communiquer ce don, serait le comble de la témérité ; mais affirmer le contraire est-il moins hardi ?

Le second sentiment, et le plus généralement reçu, est celui qui, établissant l’âme et le corps comme deux êtres qui n’ont rien de commun, affirme cependant que Dieu les a créés pour agir l’un sur l’autre. La seule preuve qu’on ait de cette action est l’expérience que chacun croit en avoir : nous éprouvons que notre corps tantôt obéit à notre volonté, tantôt la maîtrise ; nous imaginons qu’ils agissent l’un sur l’autre réellement, parce que nous le sentons, et il nous est impossible de pousser la recherche plus loin. On fait à ce système une objection qui paraît sans réplique : c’est que si un objet extérieur, par exemple, communique un ébranlement à nos nerfs, ce mouvement va à notre âme, ou n’y va pas : s’il y va, il lui communique du mouvement, ce qui supposerait l’âme corporelle ; s’il n’y va point, en ce cas il n’y a plus d’action. Tout ce qu’on peut répondre à cela, c’est que cette action est du nombre des choses dont le mécanisme sera toujours ignoré : triste manière de conclure, mais presque la seule qui convienne à l’homme en plus d’un point de métaphysique.

Le troisième système est celui des causes occasionnelles de Descartes, poussé encore plus loin par Malebranche. Il commence par supposer que l’âme ne peut avoir aucune influence sur le corps, et de là il s’avance trop : car de ce que l’influence de l’âme sur le corps ne peut être conçue, il ne s’ensuit point du tout qu’elle soit impossible. Il suppose ensuite que la matière, comme cause occasionnelle, fait impression sur notre corps, et qu’alors Dieu produit une idée dans notre âme, et que réciproquement l’homme produit un acte de volonté, et Dieu agit immédiatement sur le corps en conséquence de cette volonté : ainsi l’homme n’agit, ne pense que dans Dieu ; ce qui ne peut, me semble, recevoir un sens clair qu’en disant que Dieu seul agit et pense pour nous.

On est accablé sous le poids des difficultés qui naissent de cette hypothèse : car comment, dans ce système, l’homme peut-il vouloir lui-même, et ne peut-il pas penser lui-même ? Si Dieu ne nous a pas donné la faculté de produire du mouvement et des idées, si c’est lui seul qui agit et pense, c’est lui seul qui veut.