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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/454

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PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IX.

cents livres pour mouvoir une machine ; je suppose, comme il est possible, qu’il a exercé cette force en baissant un levier, et que la machine attachée à ce levier est dans le récipient du vide : la machine peut acquérir aisément une force de deux mille livres.

L’opération étant faite, le bras retiré, le levier ôté, le poids immobile, je demande si le peu de matière qui était dans le récipient a reçu de la machine une force de deux mille livres : toutes ces considérations ne font-elles pas voir que la force active se répare et se perd continuellement dans la nature ? Que l’on fasse un peu d’attention à cet argument-ci.

Il ne peut y avoir de mouvement sans vide ; or qu’un corps A B C D reçoive une impression dans toutes ses parties, je demande si les parties B C D, derrière lesquelles il n’y aura aucun corps, ne perdront point de mouvement ; et si les parties B C perdent leur mouvement, ne perdent-elles pas évidemment leur force ?

Écoutons maintenant Newton et l’expérience pour terminer cette dispute métaphysique. Le mouvement, dit-il, se produit et se perd. Mais à cause de la ténacité des fluides et du peu d’élasticité des solides, il se perd beaucoup plus de mouvement qu’il n’en renaît dans la nature.

Cela posé, si on considère cet axiome indubitable que l’effet est toujours proportionnel à la cause, là où le mouvement diminue la force diminue nécessairement aussi ; il faudrait donc, pour conserver toujours la même quantité de forces dans l’univers, que ce principe (que la cause est proportionnelle à l’effet) cessât d’être vrai.

On a cru que, pour conserver toujours cette même force dans la nature, il suffisait de changer la manière ordinaire d’estimer cette force : au lieu donc que Mersenne, Descartes, Newton, Mariotte, Varignon, etc., ont toujours, après Archimède, mesuré le mouvement d’un corps en multipliant sa masse par sa vitesse, les Leibnitz, les Bernouilli, les Herman, les Polenis, les S’Gravesande, les Wolff, etc., ont multiplié la masse par le carré de la vitesse.

Cette dispute a partagé l’Europe ; mais enfin il me semble qu’on reconnaît que c’est au fond une dispute de mots. Il est impossible que ces grands philosophes, quoique diamétralement opposés, se trompent dans leurs calculs. Ils sont également justes ; les effets mécaniques répondent également à l’une et à l’autre manière de compter. Il y a donc indubitablement un sens dans lequel ils ont tous raison. Or ce point où ils ont raison est celui