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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/502

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DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE X.

sera bientôt levé, si vous considérez que toute partie de matière a plus de pores incomparablement que de substance. Un rayon du soleil, qui a plus de trente millions de lieues en longueur, n’a pas probablement un pied de matière solide mise bout à bout. Il serait donc très-possible qu’un rayon passât à travers d’un autre en cette matière, sans rien déranger (figure 29).

Mais ce n’est pas seulement ainsi qu’ils passent, c’est encore l’un par-dessus l’autre[1] comme deux bâtons. Mais, direz-vous, des rayons émanés d’un centre n’aboutiraient pas précisément, et en rigueur mathématique, à la même ligne de circonférence. Cela est vrai. Il s’en faudra toujours une très-petite quantité. Mais deux hommes ne verraient pas les mêmes points du même objet. Cela est encore vrai. De mille millions de personnes qui regarderont une superficie, il n’y en aura pas deux qui verront les mêmes points précisément.

Il faut avouer que, dans le plein de Descartes, cette intersection de rayons est impossible ; mais tout est également impossible dans le plein, et il n’y a aucun mouvement, quel qu’il soit, qui ne suppose et ne prouve le vide.

Malebranche vient à son tour, et vous dit : « Il est vrai que Descartes s’est trompé. Son tournoiement des globules n’est pas soutenable ; mais ce ne sont pas des globules de lumière, ce sont des petits tourbillons tournoyants de matière subtile, capables de compression, qui sont la cause des couleurs ; et les couleurs consistent, comme les sons, dans des vibrations de pression. » Et il ajoute : « Il me paraît impossible de découvrir par aucun moyen les rapports exacts de ces vibrations », c’est-à-dire des couleurs. Vous remarquerez qu’il parlait ainsi dans l’Académie des sciences en 1699, et que l’on avait déjà découvert ces proportions en 1675, non pas proportions de vibration de petits tourbillons, qui n’existent point, mais proportions de la réfrangibilité des rayons, qui contiennent les couleurs, comme nous le dirons bientôt. Ce qu’il croyait impossible était déjà démontré aux yeux, reconnu vrai par le sens, ce qui aurait bien déplu au P. Malebranche. D’autres philosophes, sentant le faible de ces suppositions, vous disent, au moins avec plus de vraisemblance : « Les couleurs viennent du plus ou du moins de rayons réfléchis des corps colorés. Le blanc est celui qui en réfléchit davantage ; le noir est celui qui en réfléchit le moins. Les couleurs les plus brillantes

  1. Voyez, tome XIX, page 119, ce que Voltaire dissait en 1771 de la solution qu’il donne ici.