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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/52

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REMARQUES SUR LES PENSÉES

maîtresse ; tel autre tourne la broche, et est tout aussi content ; tel autre devient enragé, et on le tue.

Pour moi, quand je regarde Paris ou Londres, je ne vois aucune raison pour entrer dans ce désespoir dont parle M. Pascal ; je vois une ville qui ne ressemble en rien à une île déserte, mais peuplée, opulente, policée, et où les hommes sont heureux autant que la nature humaine le comporte. Quel est l’homme sage qui sera plein de désespoir parce qu’il ne sait pas la nature de sa pensée, parce qu’il ne connaît que quelques attributs de la matière, parce que Dieu ne lui a pas révélé ses secrets ? Il faudrait autant se désespérer de n’avoir pas quatre pieds et deux ailes. Pourquoi nous faire horreur de notre être ? Notre existence n’est point si malheureuse qu’on veut nous le faire accroire. Regarder l’univers comme un cachot, et tous les hommes comme des criminels qu’on va exécuter, est l’idée d’un fanatique. Croire que le monde est un lieu de délices où l’on ne doit avoir que du plaisir, c’est la rêverie d’un sybarite. Penser que la terre, les hommes et les animaux, sont ce qu’ils doivent être dans l’ordre de la Providence, est, je crois, d’un homme sage.


VII. Les juifs pensent que Dieu ne laissera pas éternellement les autres peuples dans ces ténèbres ; qu’il viendra un libérateur pour tous ; qu’ils sont au monde pour l’annoncer ; qu’ils sont formés exprès pour être les hérauts de ce grand avènement, et pour appeler tous les peuples à s’unir à eux dans l’attente de ce libérateur.


Les juifs ont toujours attendu un libérateur ; mais leur libérateur est pour eux, et non pour nous. Ils attendent un messie qui rendra les juifs maîtres des chrétiens ; et nous espérons que le messie réunira un jour les juifs aux chrétiens : ils pensent précisément sur cela le contraire de ce que nous pensons.


VIII. La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C’est ce que Philon, Juif, montre en divers lieux, et Josèphe admirablement contre Appion, où il fait voir[1] qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après ; en sorte qu’Homère, qui a parlé de tant de peuples[2], ne s’en est jamais servi ; et il est aisé de juger de la perfection de cette loi par sa simple lecture, où l’on voit qu’on va pourvu à toutes choses avec tant

  1. Texte exact : où ils font voir. Pascal avait en outre écrit Appien.
  2. Texte exact : qui a traité de l’histoire de tant d’États.