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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/67

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DE M. PASCAL.

On apprend aux hommes à être honnêtes gens, et sans cela peu parviendraient à l’être. Laissez votre fils dans son enfance prendre tout ce qu’il trouvera sous sa main, à quinze ans il volera sur le grand chemin ; louez-le d’avoir dit un mensonge, il deviendra faux témoin ; flattez sa concupiscence, il sera sûrement débauché. On apprend tout aux hommes, la vertu, la religion.

 XLI. (XL.) Le sot projet que Montaigne a eu de se peindre ! et cela, non pas en passant et contre ses maximes, comme il arrive à tout le monde de faillir ; mais par ses propres maximes et par un dessein premier et principal : car de dire des sottises par hasard et par faiblesse, c’est un mal ordinaire ; mais d’en dire à dessein, c’est ce qui n’est pas supportable, et d’en dire de telles que celles-là.

Le charmant projet que Montaigne a eu de se peindre naïvement, comme il a fait ! car il a peint la nature humaine. Si Nicole et Malebranche avaient toujours parlé d’eux-mêmes, ils n’auraient pas réussi. Mais un gentilhomme campagnard du temps de Henri III, qui est savant dans un siècle d’ignorance, philosophe parmi les fanatiques, et qui peint sous son nom nos faiblesses et nos folies, est un homme qui sera toujours aimé.


 XLII. (XLI.) Lorsque j’ai considéré d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes, jusqu’à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’a paru que la véritable cause est qu’il y a de vrais remèdes : car il ne serait pas possible qu’il y en eût tant de faux, et qu’on y donnât tant de croyance, s’il n’y en avait de véritables[1]. Si jamais il n’y en avait eu[2], et que tous les maux eussent été incurables, il est impossible que les hommes se fussent imaginé qu’ils en pourraient donner ; et encore plus, que tant d’autres eussent donné croyance à ceux qui se fussent vantés d’en avoir : de même que si un homme se vantait d’empêcher de mourir, personne ne le croirait, parce qu’il n’y a aucun exemple de cela ; mais comme il y a eu quantité de remèdes qui se sont trouvés véritables par la connaissance même des plus grands hommes, la croyance des hommes s’est pliée par là[3], parce que la chose ne pouvant être niée en général (puisqu’il y a des effets particuliers qui sont véritables), le peuple, qui ne peut pas discerner lesquels d’entre ces effets particuliers sont les véritables, les croit tous. De même, ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune, c’est qu’il y en a de vrais comme le flux de la mer.
  1. C’est de cette pensée que Voltaire parle, tome XVII, page 242.
  2. Texte exact : si jamais il n’y eût eu remède à aucun mal…
  3. Le texte dit encore : et cela s’étant connu possible, on a conclu de là que cela était. Car le peuple raisonne ordinairement ainsi : une chose est possible, donc elle est, parce que la chose, etc.